Quelqu’un a posé la question sur Discord : quels sont des exemples de jeux expérimentaux, intéressants, des concepts frappants repris et creusés dans quelques jeux, dans le contexte de la fiction interactive ? Voici un début de réponse pour ce qui est des jeux expérimentaux avec analyseur syntaxique. Et la semaine prochaine, sans doute, je vous ferai un article sur des jeux expérimentaux à choix multiples !
Je m’attache ici à des catégories de jeux, plutôt que des jeux uniques, pour la simple et bonne raison que je suis loin d’avoir joué à tous les jeux (et chaque jeu a quelque chose d’unique, en un sens), alors que si la catégorie est suffisamment grande ou populaire, j’ai sans doute joué à un des exemples, et je peux vous en parler un peu plus. Notez que cet article est périmé dès sa parution : il y a toujours des expérimentations à faire, et des nouveaux sous-genres qui se créent !
Jeu à un seul tour
Ce genre est assez connu, et assez ancien ; il s’agit de jeux qui s’arrêtent au bout d’un seul tour, d’une seule action. Je ne connais pas exactement la genèse de ce genre, mais il semble relativement logique dans le contexte de la FI à analyseur syntaxique : en combinant les verbes usuels et les objets du jeu, il y a énormément de commandes possibles, et l’auteur va avoir du mal à toutes les prendre en compte à chaque tour… sauf s’il n’y a qu’un seul tour ! Le fait que beaucoup de commandes soient prises en charge en fait un genre particulièrement accessible, puisqu’il n’y a pour ainsi dire pas de commandes rejetées.
Le premier jeu dans cette catégorie est Aisle, de Sam Barlow (qui a eu depuis une carrière illustre), dont je recommande fortement la lecture ; il y a plus d’une centaine d’actions, menant à des fins très différentes et parfois incompatibles, comme des réalités parallèles. Vient ensuite le jeu parodique (fortement recommandé lui aussi) Pick Up the Phone Booth and Aisle. Le jeu Rematch prend ce concept et en fait une énigme, façon Un jour sans fin : comment empêcher l’accident qui va se dérouler au tour suivant ? Enfin, à mon humble échelle, j’ai réalisé un « presque one-move game » (il se finit au bout de 3 tours, il me semble), nommé Les espions ne meurent jamais, qui est toujours un de mes jeux les plus populaires. Plus récemment, le jeu Midnight. Swordfight. de Chandler Groover a repris ce genre pour en faire un jeu unique, qui a failli remporter l’IFComp 2015.
Jeu à un seul verbe
C’est un peu le contraire du précédent : au lieu d’avoir beaucoup d’actions mais un tour, vous avez beaucoup de tours mais une seule action. Votre verbe est votre seul marteau, et tout le jeu consiste à trouver des clous pour y taper dessus. Ce genre utilise l’une des choses que l’analyseur syntaxique fait bien (ou mal, c’est selon) : on ne vous dit pas avec quels objets décrits par le jeu vous pouvez interagir. Ceci peut mener à des surprises, et dans le cadre des jeux à un seul verbe, c’est tout l’intérêt : tout ce à quoi vous allez penser à faire avec ce verbe sera implanté. (Pour l’auteur, c’est tout le défi, comme pour les jeux à un tour !)
Un des exemples les plus marquants est le jeu Eat Me, de Chandler Groover, où l’on mange absolument tout dans un château ; un jeu qui a failli remporter (hé oui, encore, pauvre Chandler) l’IFComp 2017. Il y eut aussi le jeu Take, en 2016, de Katherine Morayati, qui reprend un concept similaire, sauf que le verbe (un jeu de mot) est « écrire un article pour un média en ligne sur cette chose ». On peut aussi mentionner Conan Kill Everything d’Ian Haberkorn ; et dans le genre encore plus contraint, Go West de Hulk Handsome, et The Northnorth Passage de Caleb Wilson.
Flots de pensées
Dans un jeu à analyseur syntaxique standard, il y a un dialogue constant non pas entre le joueur et l’histoire, mais entre le joueur et le programme, le jeu, en fait l’analyseur syntaxique, qui fait office de voix du narrateur, et dit au joueur ce qu’il est possible de faire ou non. Et il est de notoriété publique que les jeux à analyseur syntaxique sont difficiles à jouer quand on n’en a pas l’habitude. Avec ce genre, le parser ne dit jamais non, c’est juste qu’il ne vous écoute que d’une oreille distraite et continue à raconter l’histoire, mais que vous pouvez toujours influencer avec vos commandes… Un expérience unique, qui peut être déroutante. Il y a, je crois, pour l’instant, que deux suivant ce principe : Laid off from the Synesthesia Factory de Katherine Morayati (encore elle), et Mirror and Queen de Chandler Groover (encore lui). J’aimerais qu’il y en ait plus !
Pas de verbes
Et si les analyseurs syntaxiques n’avaient plus besoin de verbes ? Depuis le début, Adventure et consorts, la règle semble être « verbe objet » ; et si vous n’aviez pas besoin de verbe ? S’il suffisait d’utiliser le nom d’un objet pour interagir avec ? Finalement, c’est conceptuellement similaire à une voie empruntée par les jeux d’aventure en point-and-click, où il suffit parfois simplement de faire des clics gauches sur des objets pour avancer ; ici, il suffit juste de mentionner le nom de l’objet.
Il me semble que l’un des premiers jeux à utiliser ce principe est The space under the window, de Andrew Plotkin ; ça n’est pas vraiment un jeu, avec des énigmes et un but, mais plutôt une expérimentation, une exploration du texte, où mentionner un objet fait que le jeu se focalise plus dessus, découvrant de nouveaux détails. Walker and Silhouette, de C.E.J. Pacian, utilise cette interface de façon intéressante ; cette enquête légère se déroulant au début du XXe siècle joue avec le format et la contrainte pour certaines de ses énigmes. On peut aussi citer Starborn, de Juhana Leinonen, qui met également les mots avec lesquels on peut interagir en évidence ; au contraire de Walker and Silhouette, il me semble qu’aucune autre commande ou objet ne sont cachés, ce qui fait que le jeu est très similaire à un jeu hypertexte (d’ailleurs, l’auteur en a fait un remake à hyperliens). Cependant, comme on l’a déjà fait remarquer, une des choses intéressantes avec l’analyseur syntaxique est la possibilité de cacher des commandes ; il est tout à fait possible de souligner certains mots sans dire qu’il y en a d’autres possibles, ce qui modifie sensiblement l’expérience de jeu !
Interfaces utilisateur
Enfin, un dernier genre que je mentionnerai est celui des jeux où l’on simule une interface utilisateur différente de celle d’un jeu classique. L’exemple auquel je pense est Her Story de Sam Barlow (re-coucou), où l’on tape des mots-clés pour retrouver des documents dans une base de données et se faire une idée de la culpabilité du personnage principal ; le système simule l’accès à des vidéos, mais le cœur du jeu est de trouver des mots-clés à taper pour avancer, ce qui est similaire à l’analyseur syntaxique. Ceci me rappelle un petit peu le jeu The Endling Archive, de Kazuki Mishima, un jeu Inform où l’on lit des messages laissés derrière eux par une équipe de plusieurs personnes ; c’est un petit peu aussi le concept que j’ai utilisé pour le système d’emails dans mon jeu Life on Mars?, et c’est également similaire à ce qui est utilisé dans Analogue: A Hate Story de Christine Love. Cependant, on s’éloigne un peu de l’analyseur syntaxique ici… Il est temps pour moi de vous dire à la semaine prochaine, pour un autre article sur des jeux à hyperliens expérimentaux !
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