Un film présenté en 2015 au festival Luminato de Toronto. Sa particularité ? Il s’agit du premier film tourné de manière interactive !
Nous avons déjà étudié le cas de quelques films interactifs, avec notamment Kinoautomat ou Bandersnatch. Dans ces œuvres, l’audience influe sur le cours des événements pendant le visionnage.
Avec My One Demand, l’interactivité a été décalée à une phase de la vie du film tout à fait différente : celle du tournage !
C’est au collectif Blast Theory que l’on doit cette expérimentation diffusée durant trois jours lors du festival Luminato de 2015.
L’histoire suit sept personnes évoluant dans la ville de Toronto, le tout filmé sans interruption du début à la fin. Bande annonce :
Conditions de tournage
Un an et demi de préparations ont permis de limiter la casse durant ce tournage ambitieux. De nombreux repérages dans la ville ont servi à trouver des lieux originaux et propices. L’ensemble ne s’est toutefois pas déroulé sans frayeurs, tant la liste des choses à boucler pour le jour J était longue et complexe, avec de nombreux points qui pouvaient tout faire échouer.
Sept personnages sont donc suivis successivement. On les entend peu : les dialogues sont minimaux car l’équipe technique est réduite au minimum au niveau du son, ce qui rend difficile la captation au milieu des bruits de la ville. L’équipe a donc prévu la voix d’une narratrice (Maggie Huculack). C’est d’ailleurs par ce biais que l’interactivité se met en place.
L’histoire dure deux heures, et profite de cet espace pour visiter des activistes du mouvement Occupy qui luttait contre les inégalités économiques et sociales.
L’influence du public
Si vous vous attendiez à une histoire à embranchements, comme Bandersnatch ou TANTALE, revoyez votre copie : ici, le public envoie des indications par texto ! Ces propositions forcément très hétéroclites sont filtrées par une partie de l’équipe au sein d’une salle de contrôle. Les indications et suggestions qui en découlent sont transmises à la partie de l’équipe qui est en train de tourner. Le script ne peut donc pas évoluer de manière majeure (ce qui serait très compliqué ne serait-ce qu’au niveau des décors ou des personnages disponibles), mais la narratrice applique des modifications subtiles qui permettent au public de se sentir investi sans pour autant invalider toute la préparation faite en amont.
En juin 2015, le public pouvait interagir avec le film de deux façons : soit depuis une salle de cinéma du festival en envoyant des SMS, soit depuis le reste du monde en étant connecté depuis un ordinateur.
Le groupe Blast Theory, dont toutes les créations tournent autour de l’interactivité, avoue volontiers s’inspirer du monde du jeu vidéo. Malheureusement, la participation à ce genre de festival conditionne souvent l’exploration de ces œuvres à une présence à la date et au jour fixé… Il me semble ainsi impossible de voir My One Demand sur internet aujourd’hui, même dans une version non interactive (si quelqu’un a une piste, je suis preneur).
Ainsi, on ne connaîtra pas tout de suite l’étendue des suggestions proposées par le public durant les trois jours de diffusion en 2015, ni l’impact exact sur le script. Les informations générales disponibles sont assez minces, on peut toutefois trouver en complément ce petit film annexe, où la narratrice est de retour sur quelques minutes qui sont probablement dans le ton général du film principal (cette partie n’a rien d’interactif) :
On pourra trouver sur YouTube d’autres vidéos concernant des personnages spécifiques de l’histoire principale. Mais encore une fois, la dimension interactive n’est pas disponible !
L’intérêt de ce type d’interactivité dans nos jeux ?
La méthode d’interaction proposée par My One Demand est très différente de ce que l’on a pu voir avec les exemples précédents de films interactifs. En termes de jeux vidéo, la chose la plus proche que cela peut me rappeler serait le concept d’intelligence artificielle appliqué sur la série des Left 4 Dead de Valve. Appelé « The Director », ou encore « The AI Director » (abrégé AID), ce système décide lui-même de placer les ennemis à tel endroit et à tel moment suivant la situation des personnages des joueurs et joueuses : leur emplacement, leur réussite jusque là, leur santé… tout ça alimente l’IA qui va chercher à proposer l’histoire la plus excitante possible, mais aussi une histoire qui va changer à chaque partie.
C’est aussi cette IA qui décide de l’attribution de bonus supplémentaires (santé, munitions, armes…) ou au contraire d’ennemis additionnels (zombies spéciaux notamment).
Un article entier pourrait sans doute y être consacré, mais précisons que The AI Director joue en collaboration avec un Music Director, qui pour sa part s’occupe de gérer la bande son !
Tout ça me fait aussi penser à ces jeux où l’on agit de manière indirecte sur l’univers et les personnages qui l’habitent. Ce genre a peut-être été créé en 1989 avec Populous, de Peter Molyneux (Bullfrog), où, en tant que dieu, on pouvait modeler le monde mais pas donner d’ordre directs à la population. Cette dernière prenait ses propres décisions en fonction de nos travaux de terraformation et de notre utilisation de certains pouvoirs divins.
Et pour les fictions interactives textuelles ?
Tout cela tranche tellement avec l’aspect pratique mais quelque peu rigide des fictions à choix multiples (Twine, ink…) qu’il peut être difficile de s’inspirer de My One Demand pour réaliser un jeu — si ce n’est dans l’écriture pure bien sûr (raconter l’histoire du tournage d’un film, ou proposer des chemins en suggérant des émotions plutôt que des actions concrètes).
Il devient par contre tout à fait adapté, avec des jeux à analyseur syntaxique (réalisés par exemple avec Inform), de proposer une histoire qui va évoluer fortement suivant de nombreux paramètres piochés dans la situation du moment.
Tel PNJ (personnage non joueur) va-t-il se comporter différemment si on porte une pièce de vêtement particulier ou si on a discuté avec tel autre personnage avant qu’il nous a mis de mauvaise humeur ? Je n’évoque pas ici des facteurs révolutionnaires, mais c’est la multiplicité de points de variations de ce genre qui pourrait donner une ambiance similaire au film, où chaque nouveau visionnage génère une histoire qui suit globalement un même chemin tout en changeant sur de nombreux points secondaires. Tout ça peut rappeler le concept d’histoire de bas niveau que nous avions évoqué dans un article précédent.
Bien sûr, tout cela peut-être réalisé avec Twine ou autre outil du même ordre qui permet de gérer des variables. Le monde des parsers à la Inform me semble simplement plus propice à une narration qui se voudrait très adaptative.
N’hésitez pas à partager ce que vous inspire l’interactivité subtile proposée par le film My One Demand. D’autres exemples de jeux vidéos proches sont certes à retrouver, mais il sera bien sûr encore plus intéressant de trouver de nouvelles pistes à explorer dans nos jeux futurs !
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