Bonjour ! Je suis Stéphane Wiart, sur le forum depuis un peu plus de deux ans. J’ai mené quelques projets à terme en découvrant Inform 7 et ink ; mon dernier, Violette, a été écrit en ink, et j’en ai réalisé une version matérialisée (même si les intéressés peuvent m’envoyer un mail pour y jouer !). Je m’intéresse beaucoup au retrogaming, notamment aux jeux Magnetic Scrolls ou Scott Adams, mais aussi aux jeux francophones, comme ceux de Froggy Software… Et c’est pour ça que j’ai envoyé quelques questions à Hugo Labrande, qui a réalisé un portage de Même les pommes de terre ont des yeux ! il y a quelques années, car la démarche m’intéresse, pourquoi pas pour m’y essayer. Ce qui suit est notre conversation…
Stéphane : Quand as-tu commencé le projet ? Combien de temps t’a-t-il pris ?
Hugo : Je suis allé chercher dans les archives du forum (c’est l’avantage du forum par rapport aux salons de conversation !), et j’ai retrouvé le sujet du forum correspondant ! Et donc, je l’ai commencé le 24-27 juin 2007, fini en une semaine, et posté le 2 juillet 2007. Tiens, j’avais eu l’impression que ça m’avait pris plus de temps que ça… En tout cas, j’étais en vacances cette semaine-là donc j’avais beaucoup de temps libre.
S : Quelle était l’ambition de départ ?
H : Comme c’est écrit dans le fil du forum, mon inspiration c’était le projet« From Hell », de Roberto Grassi, un auteur italien de fictions interactives. Ce projet visait à réimplanter des vieux jeux en Z-code/Inform, pour tirer parti du fait que la Z-machine est très portable et donc que ces jeux pourraient être joués sur énormément de plateformes. (En 2007 c’était particulier : on pouvait jouer à des jeux Inform dans un navigateur avec une applet Java qui marchait vraiment pas tout le temps. x) C’était avant le JavaScript, et Parchment, qui a ensuite engendré Vorple. Mais bon, c’était possible d’y jouer sur un navigateur, ce qui était plus pratique qu’un émulateur Apple II.)
Je crois aussi que je cherchais un petit projet à faire pour manger plus d’Inform 6, pour vraiment me familiariser avec le langage.
Pour la petite parenthèse, d’après ce que j’ai pu comprendre en discutant avec des Italiens, leur scène fiction interactive est très portée sur les jeux rétro (leur forum est un sous-forum d’un site de jeux rétro, OldGamesItalia, si je ne dis pas de bêtises). Normal que ce projet vienne d’eux, en quelque sorte. Je me disais qu’il devait bien y avoir des francophones qui veulent jouer aux jeux Froggy Software ; mais ça n’était pas la même chose sans les images, et je n’ai pas vraiment réussi à intéresser particulièrement la communauté abandonware en France. Mais c’est très drôle de me voir jeune fougueux en 2007 en train d’essayer de faire grandir la communauté et son nombre de jeux disponibles ; à l’époque on était un peu plus en mode survie niveau organisation du concours, il me semble, et on se disait que peut-être qu’en ayant plus de jeux on attirerait du monde. C’est pas exactement comme ça que ça s’est passé mais on s’est bien amusés et voilà que 12 ans après ça intéresse quand même des gens. 🙂
S : As-tu disposé du code source ou as-tu fais du « retro-engineering » ?
H : Je n’ai pas disposé du code source ; je ne crois pas qu’il soit disponible, et dans tous les cas je m’y connais très peu en vieux ordinateurs. C’était du « retro-engineering », c’est-à-dire jouer au jeu en testant tout (en m’aidant d’une solution, il me semble) et en notant tout, puis en le retranscrivant en Inform 6… Il n’est pas exclus qu’il manque des commandes, mais j’avais inclus quelques commandes bonus comme les insultes, donc j’avais tenté pas mal de trucs je pense…
À noter que quelque temps plus tard, j’ai fait un portage du jeu La femme qui ne supportait pas les ordinateurs, toujours chez Froggy Software ; là pour le coup le portage est beaucoup plus fidèle à l’original, puisque les seuls choix sont « oui » ou « non » (donc j’ai exploré tout l’arbre et toute la structure du jeu méthodiquement) et que le jeu est en mode texte uniquement, comme un jeu Inform de base.
S : As-tu contacté l’équipe originale ?
H :Comme mentionné dans le forum, voilà comment ça s’est passé : je ne m’en suis pas préoccupé, et quelqu’un d’autre (Yoruk) a envoyé un mail à Jean-Louis Le Breton, cofondateur du studio et programmeur pour le jeu, pour lui demander ; il a dit : « je n’y suis pas opposé tant que ça ne se fait pas dans un but commercial » ; ce qui n’était pas le but de toute façon.
Pour mon autre projet de réimplantation rétro, La femme qui ne supportait pas les ordinateurs, quelques mois plus tard, j’avais contacté l’autrice principale, Chine Lanzmann, notamment pour retrouver l’image disque, qui était introuvable sur le Net, et aussi avoir son accord. Le temps qu’elle me réponde, je l’avais retrouvée grâce à Deckard, quelqu’un de chez GrosPixels, qui me l’a retrouvée et envoyée (j’ai encore l’email plein de smileys que je lui avais envoyé à l’époque), et j’avais fait la transcription du jeu ; « incroyable ! vous m’épatez ! bien sur je vous donne mon feu vert ! » m’a-t-elle répondu !
S : As-tu transposé à la lettre le titre initial ou as-tu apporté des éléments supplémentaires (nombre d’objets, interactions…) ?
H : J’ai essayé de retranscrire à la lettre, sans ajouter d’indices ou d’objets en plus. Il est possible que j’aie ajouté quelques synonymes à la volée (genre dire « ah ça serait bien qu’on ajoute « speakerine » en synonyme de « présentatrice » ») mais je ne pense vraiment pas ; je voulais vraiment faire un portage le plus fidèle possible sans avoir accès à la source (j’aurais testé si le synonyme était dans le jeu original avant de l’inclure je pense).
Par contre, la grande différence est que je ne pouvais pas inclure d’images dans le jeu à l’époque. Enfin, je pouvais en théorie, mais je ne savais pas trop comment faire et je n’avais pas vraiment envie de chercher, ça n’était pas le but. Du coup, j’ai remplacé les descriptions originales par des descriptions un peu plus explicites, qui décrivaient les objets (hélicoptère, gardes, etc) présents à l’écran. Je pense que ça n’est pas très grave, mais bon quand même.
Ah et tout de même, il y a une image qui a été transcrite, pour l’écran de game over : un pistolet, dessiné en ASCII par Yoruk. 🙂
J’en ai un peu parlé dans l’article sur Vorple et les jeux old school, mais maintenant que (douze ans plus tard…) je sais comment faire pour ajouter des images et avoir une interface similaire, il faudrait faire une capture d’écran de toutes les images et les intégrer au jeu, et enlever ces nouvelles descriptions, si on veut coller encore plus au jeu original.
S : Quelles difficultés as-tu rencontré ?
H : Je ne me souviens pas vraiment de difficultés à part celles qui venaient de mon manque de maîtrise de l’outil. Un point qui était un peu ennuyeux c’était la gestion des verbes, et surtout les quelques tournures spéciales (genre un mot de passe à taper sans verbe) à prendre en compte à des points précis ; en Inform 6 c’est un peu particulier à gérer quand on n’a pas l’habitude, mais en Inform 7 c’est un peu plus simple car on peut dire des phrases entières entre guillemets. Rien de très difficile à gérer dans tous les cas (vu que j’étais pas extrêmement fort à l’époque et que je l’ai fait en une semaine).
S : Pourquoi sous Inform ?
H : Le format de sortie de Inform s’y prête (le parser est déjà codé, il y a déjà beaucoup de réponses standard prévues, une géographie, etc.), et le but de ce projet pour moi était surtout, je crois, de me faire la main sur Inform 6.
S : Tu n’as jamais eu l’envie de créer un jeu non dématérialisé ? Un peu comme mon projet Violette, ou comme le travail de Brutaldeluxe sur La crapule pour Apple II/Mac. Une simple feuille A4 pliée dans un zip-lock, avec la notice et l’illustration, par exemple ?
H : Comme je l’ai mentionné, je ne connais pas du tout la scène abandonware ou vieux ordinateurs (j’ai lu des livres, mais je n’en ai jamais touché un de ma vie). Le style des années 80 est particulier et rigolo, et y’a le facteur nostalgie qui joue ; j’avoue que faire quelque chose dans ce style m’intéresse.
J’aime bien l’idée théorique qu’un jeu Inform peut potentiellement se retrouver sur un vieil ordinateur, mais sachant que je n’ai pas le matériel et pas vraiment les compétences techniques, il faudrait que quelqu’un le fasse pour moi quoi. 😉 D’ailleurs on aura quelqu’un qui écrira un article pour nous sur ce sujet à la rentrée…
Par contre, un projet dont j’avais parlé dans un article précédent serait d’arriver à brancher Inform (sur un Raspberry Pi ou un Arduino) à une imprimante thermique (celle des tickets de caisse). L’idée de taper quelque chose et que le reste du texte s’imprime sur un papier me plait beaucoup, mais là encore il faudra que j’ai du temps pour regarder les détails. 🙂
S : Tu n’as pas intégré de graphismes. Était-ce un choix délibéré ?
H : C’est plutôt quelque chose qui était une contrainte technique. En Z-machine, il y a en théorie une extension (la V6) pour intégrer des graphismes, mais personne ne l’a jamais utilisée pour faire des jeux à l’époque moderne (y’a 2 jeux Infocom de la fin des années 80 qui le font et c’est tout). J’avais vaguement pour projet de le faire, j’avais trouvé un tutoriel, mais bon. Après il y a aussi Glulx, qui permet en théorie d’avoir un écran splitté avec image en haut et texte en bas (Ekphrasis le faisait en format gauche-droite) ; c’est bien plus abordable mais à l’époque vu mon petit niveau, c’est bof.
Là de nos jours, avec Vorple, j’ai vraiment l’impression que c’est à portée très facilement ; c’est pour ça que je l’ai mentionné. Je trouve que ce genre de jeux se prête relativement peu au jeu sans images ; peu de texte, des réponses lapidaires, si y’a pas les images pour l’ambiance ça me plaît moyen. Pour moi, un jeu en mode texte seulement doit être soit plus étoffé et littéraire, soit plus profond et complet comme un open-world.
S : As-tu d’autres projets de transcriptions ? Autres titres de Froggy, The Hobbit…
H : Pas vraiment, enfin ça me plairait mais je ne sais pas si j’ai le temps ou l’envie de mener ça tout seul. Si je le fais, il me faudra de l’aide : quelqu’un qui me recopie les réponses à intégrer, ou qui me décompose les énigmes, quelqu’un qui me donne les images, etc. Je pense que ça pourrait être bien si il y a une petite équipe, ou si le développement se fait sur Twitch avec plusieurs personnes qui discutent pour me motiver.
Pour ce qui est des jeux, ça serait bien d’avoir quelques classiques, comme Le passager du temps, ou SRAM, ou Le diamant de l’île maudite, pour toucher le maximum de gens. Le passager du temps serait celui qui me motiverait le plus, car beaucoup de gens s’en souviennent avec émotion, et l’interface est très chouette. En Froggy j’avais aussi pensé au Crime du parking, parce qu’il est intéressant dans son ambition (et il a le premier personnage gay du jeu vidéo au monde), mais en y jouant je le trouve plutôt puéril dans son traitement et il y a des choses qui ne passent vraiment pas en 2019.
Merci !
Merci à toi ! Je suis très content de voir qu’un projet qui m’a amusé il y a douze ans peut encore intéresser d’autres gens !
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.