Parfois, vous avez envie de créer un jeu. Parfois vous avez même les ressources ou la détermination pour le faire. Et parfois, non. C’est grave, docteur ?

Réponse courte

Non.

Réponse longue

Je n’aime pas beaucoup les discussions concernant la définition de l’art, les débats du type « le jeu vidéo est-il un art ? » et autres semi-joyeusetés. Permettez-moi donc d’économiser quelques pages de palabres enrichis de locutions latines pour aller vers un axiome aussi simple (disons même simpliste) que subjectif qui nous servira par la suite : tout ce que vous créez est une œuvre d’art. Pas forcément un chef-d’œuvre, pas forcément quelque chose qui sera étudié durant les siècles à venir, mais au moins une chose qui n’existait pas avant et qui peut intéresser, enrichir ou divertir quelqu’un d’autre.

Et à ce titre, n’hésitez pas à partager vos ébauches de jeux, voire vos idées de jeux. On parle bien sûr ici principalement de ce que vous avez renoncé à produire ou à terminer. Mais il peut s’agir aussi de choses que vous mettez en pause pour un temps indéterminé, et que vous finirez… un jour ?

Vider les tiroirs ou créer du méta

C’est un sujet que nous avions déjà lancé sur le forum en 2017, sous le tire du grand appel à cadavres, où vous trouverez pas mal d’idées sympas jetées en vrac, mais aussi des notes super détaillées de jeux que filiaa avait envisagé pour certains concours. De mon côté, j’avais enchaîné avec mon blog sous l’étiquette de limbes ludiques (il ne reste qu’à s’y remettre sérieusement).

Puis vint 2018, une époque encore insouciante et sans masques, et proposant en fin d’année une game jam un peu spéciale, l’I Wasn’t Gonna Make This Anyway Jam ! Son principe ? Proposer quelque chose en rapport avec un jeu inexistant, en évitant justement de proposer ledit jeu. J’y participai avec Fall’in 76, une parodie de crossover entre Interstate ’76 (le meilleur jeu de l’histoire de l’univers) et Fallout. D’autant que Fallout 76 sortait et que j’espérais que ce nom faisait référence à Interstate ’76 et qu’on allait voir du Mad Max dans l’univers de Fallout (je vous laisse imaginer ma déconvenue lorsque la bise fut venue). On pouvait y trouver une gamefaq, des release notes pour un patch, la première page du manuel ainsi qu’une musique (composée par le comparse Asderrde).

J’ai trouvé l’idée de cette jam géniale, mais je l’ai ratée l’année suivante, puis l’organisateur, CannibalInteractive, a eu d’autres chats à fouetter. Je me suis dit qu’il serait bon de la faire renaître et je l’ai lancée cette année dans une version un peu plus francophone. La Jam des Mauvaises Résolutions 2021 a donc couru tout janvier (et on attendra janvier 2022 pour faire la prochaine).

Les non-jeux de 2021

Nous nous attarderons un peu plus sur les créations proposées ayant un lien direct avec les fictions interactives, mais accordons tout de même quelques mots à chacune des dix participations, le panel fut varié 🙂

Capture d'écrant de The Legend of Melba.
Extrait de The Legend of Melba
  • Float par Metaleptic
    Vous y trouverez un morceau musical habilement torturé et un long mail écrit par un hypothétique service client dont la dévotion n’a d’égale que l’imagination débridée. Le tout à propos d’un jeu nommé Float mais auquel nous ne pourrons bien sûr pas jouer.
  • jeudemerd par Mikoo
    Une proposition futée, un jeu réalisé sous LÖVE (un moteur de jeu en Lua, fort sympathique), avec… un souci de mauvaise résolution ? ;p
  • Les barons du terril par Morusque
    Une page de Trucs et Astuces à propos d’un simulateur de gestion de terril. Les cheat codes font vraiment regretter de ne pas pouvoir jouer au jeu !
  • The Legend of Melba par Narkhos
    Une superbe notice de jeu NES. =) De bonnes idées, du bon texte, et du bon pixel art !
  • World of the Endless Vast FAQs par CannibalInteractive
    Des FAQ (étonnamment riches) concernant un MMORPG fictif imaginé par l’instigateur de la première jam du genre. Je l’ai contacté via Twitter et il était ravi de voir l’esprit de la jam se poursuivre. 😉 Vous le trouverez d’ailleurs là-bas sous @TheWorstRPGDev !
  • The Legend of Emily Joly par Batteman et Hugo Labrande
    Rien de moins qu’un article du magazine Tilt, cette revue des années 80-90 qui suivait entre autres l’actualité des jeux Amiga/Atari. Avec ça, de belles captures d’écran et une couverture au poil 🙂
La couverture de The Legend of Emily Joly

Les non-fictions-interactives

Voyons maintenant les non-jeux proposés pour cette même jam mais qui tournent autour de fictions interactives !!

Rapidement fut proposé Ranae, par Makhai S., qui n’est rien d’autre… qu’une fiction interactive (à choix multiple) évoquant la création d’une autre fiction plus longue. Une histoire simple, retraçant des craintes bien réalistes dans le domaine de la création, et le tout proposé sous une forme qui passe très bien.

Première page de Ranae

Vous trouverez aussi Arsène Lupin Untitled Game par smwhr. On est moins dans le méta ici, mais plutôt dans le jeu commencé sans volonté (pour l’instant ?) d’être terminé. L’histoire est bien sûr inspirée d’une nouvelle de Maurice Leblanc, Arsène Lupin en prison. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on y retrouve une élégance rare qui sied très bien au protagoniste.

Vient ensuite L’Institut, par farvardin. Tout comme pour la légende d’Emily Joly, on est là (entre autres) sur l’évocation d’un vieux magazine Tilt(e). L’ensemble est au format PDF, avec des trouvailles astucieuses et des travaux graphiques vraiment bien réalisés. Le jeu imaginé est donc là aussi une fiction interactive, dans ces versions très old-school des années 80 (du jeu à parser, donc).

Boîte du jeu L’Institut pour Commodore 64 !

Et nous concluons ce tour avec l’impressionnant dossier concernant Le Seigneur des Ruines, par Stéphane F.
Plus de 80 pages retraçant ce qu’aurait pu être ce jeu (de la famille des Livres Dont Vous Êtes Le Héros). L’ensemble est présenté à la manière d’une découverte fictive de vieilles notes concernant ce jeu d’un auteur inconnu. S’ensuivent commentaires, schémas, photos… Si cette jam donne parfois l’envie de voir le jeu non créé apparaître enfin, ici l’envie qui se dégage est de voir cette mythologie s’enrichir et se développer sans jamais s’approcher de trop près de la réalisation du jeu mythifié !

Photo introduisant le dossier du Seigneur des Ruines

Et après ?

La conclusion ne vous saute-t-elle pas aux yeux ? Si ce n’est pas le cas je vais vous aider : faites le tri dans vos idées et ébauches. Ce qui mérite de gros efforts pour être mené à terme, transformez-le en jeu. Ce qui, pour une raison X ou Y, ne vous motive pas assez pour ça… ne le jetez pas !

Distribuez vos idées pour qu’elles soient réalisées par d’autres, publiez vos intros abandonnées pour satisfaire nos curiosités ou pour servir de code source didacticiel, enrobez vos concepts d’éléments graphiques, musicaux, journalistiques et proposez-les à des jams de ce genre… Les possibilités sont multiples, et n’importe lequel de ces choix permettra à votre travail, que vous jugiez inachevé, d’atteindre le paradis des œuvres validées par l’espèce humaine (au moins une partie de cette dernière).