Salut à toi, jeune entrepreneur·euse ! Nous deux, on se comprend : on n’est pas là pour la beauté de la narration interactive, non, du tout. Ce qui nous intéresse, c’est la tune, le blé, la purple money. Toutes les personnes qui t’ont dit d’investir dans les NFT ou le metavers n’ont jamais tapé un open door
hasardeux. Toi, si, et tu sais que ces commandes ne sont pas seulement entêtantes, elles vont aussi te rendre RICHE. Comment ? En suivant ma formation pour devenir millionnaire avec la fiction interactive, 100% gratuite*.
Vivre de son art
Naïvement, on peut imaginer que la façon la plus simple de vivre de ses fictions interactives, c’est de les vendre. Il est vrai qu’il existe déjà toutes sortes de plateformes dédiées à la vente de jeux, du très gamer Steam (dont Mia vous dévoile tous les détails dans son tutoriel) à l’indé itch.io (souvenez-vous, Feldo vous a appris à y héberger vos jeux, et Hugo Labrande à y récupérer votre argent) en passant par les boutiques mobiles Google Play et App Store. Après une rapide recherche, le constat est tristement similaire partout : la plupart des FI se vendent pour une bouchée de pain, et dans des volumes très faibles. Si l’on soustrait aux revenus la marge que prennent les plateformes (jusqu’à 30% des ventes, plus le coût de base d’hébergement) et la TVA, il ne vous reste plus grand-chose dans la poche.
Pour dégager un chiffres d’affaires qui vous permette d’en vivre, il faut adopter la stratégie de la loterie : produire une quantité astronomique de FI, à très grande vitesse, en espérant qu’une d’entre elles finisse par sortir du lot pour compenser les pertes engendrées par les autres. Évidemment, si vos jeux ne sont qu’en français, le défi devient quasiment irréalisable. Et traduire ne serait-ce qu’en anglais n’est pas une mince affaire, nous expliquait en détail Nighten.
Oui, il existe quelques fictions interactives qui ont fait de l’argent sur ces plateformes. Par exemple, un jeu comme Lifeline, en utilisant intelligemment les montres connectées et le principe de notifications, est parvenu à se vendre par paquets de centaines de milliers de copies et se décliner en tout plein d’opus. Mais ces hits sont des anomalies ! Enterre-moi mon amour, qui fonctionne pourtant sur le même principe et a bénéficié d’un accueil chaleureux de la presse au point de presque atteindre les 100 000 ventes, n’aura jamais rentabilisé ses 200 000$ de coût de production, m’expliquait dernièrement le fondateur de The Pixel Hunt Florent Maurin.
D’autres écosystèmes existent. Hadean Lands était ainsi parvenu à collecter plus de 30 000$ sur Kickstarter. Des auteurs et autrices publient sur des plateformes spécialisées dans la fiction interactive telles que Choice of Games, qui les rémunèrent directement selon leur succès. Ces revenus peuvent être complétés par la mise en place d’un Patreon, rarement intéressant, sauf pour les quelques célébrités qui peuvent toucher jusqu’à 9 000$ par mois.
Choice of Games mériterait un article à elle seule tant les façons de faire y sont spécifiques. Qu’importe la plateforme et le modèle économique, il reste une vérité malheureuse : même s’il existe quelques grands succès commerciaux, trop peu de personnes parviennent à vivre de leurs fictions interactives. Si vous voulez rentabiliser vos capacités à trier un Twine sans jamais que deux flèches ne se croisent, il va falloir trouver autre chose.
Se salarier dans le jeu vidéo
« Et sinon, pourquoi tu ne prends pas un CDI comme tout le monde ? » s’exaspèrent vos parents, qui, même s’ils ne comprennent rien à ce que vous faites, ont bien saisi que vous alliez vivre encore un petit moment sous leur toit. Le CDI, parlons-en.
Il n’y a qu’une industrie qui acceptera de vous salarier pour faire de la narration interactive, c’est le jeu vidéo. Pour y entrer, deux portes : la grande, avec le diplôme d’une école de jeu vidéo qui ne vous coûtera que quelques années de votre vie dans un bouillon de culture misogyne, des dizaines de milliers d’euros et un burn-out.
La petite porte, c’est celle du portfolio. Dit autrement : vous arrosez les studios de développement avec votre CV et vos fictions interactives jusqu’à taper dans l’œil de la personne chargée du recrutement. Manque de pot, l’industrie du jeu vidéo n’a pas une bonne opinion de la fiction interactive ; pour de mauvaises raisons (la FI n’aurait rien à voir avec le jeu vidéo) et de meilleures raisons (la FI est un travail solitaire orienté autour de l’écriture alors que le jeu vidéo est avant tout pluridisciplinaire et collectif).
Ici, quand je parle de « jeu vidéo », il s’agit au sens convenu du terme, à savoir un logiciel qui délivre une expérience de jeu reposant sur des graphismes calculés en temps réels et du son, plutôt que de s’appuyer sur des images statiques et du texte comme le fait la fiction interactive. C’est assez réducteur, mais c’est le paradigme de l’industrie du jeu vidéo.
En utilisant vos fictions interactives pour entrer dans l’industrie, vous pourrez obtenir un poste de writer (la personne qui écrit, littéralement) ou de narrative designer. Ce dernier métier, très en vogue, peut inclure beaucoup de choses selon l’entreprise, dont de l’écriture, mais aussi du game design (la conception des mécaniques de jeu). Le mieux est d’étudier attentivement les offres d’emploi de chaque studio pour comprendre les compétences qui seront attendues de vous. Sur l’AFJV, première plateforme de recrutement dans le jeu vidéo en France, il vous suffit de cocher « game design » dans la liste des métiers puis d’affiner votre recherche avec un CTRL+F. Le salaire net mensuel d’un·e narrative designer junior tourne entre 1800€ selon la police et 1600€ selon ce que j’ai pu constater sur le terrain.
Si ce salaire et les conditions de travail ne vous découragent pas, voilà comment mettre toutes les chances de votre côté lors de l’élaboration de votre portfolio. Tout d’abord, vos fictions interactives doivent être facilement testables. En tant que recruteur, vous allez me mettre de très mauvaise humeur si je dois installer un sombre émulateur pour lancer votre parseur. L’idéal, c’est une webapp directement jouable dans le navigateur. Et dans le pire des cas, faites au moins une capture du gameplay en vidéo. Laissez vos fichiers sources accessibles pour permettre d’explorer le graphe des choix et démontrer que vous avez bien lu l’article de Nighten sur comment faire des arbres qui n’explosent pas dans tous les sens. C’est aussi l’occasion de démontrer que vous comprenez la logique informatique par l’emploi de variables, voire par l’usage de structures complexes telles que les narramiettes — on remercie Hugo Labrande pour ces explications.
Ces crâneries ont pour seul but de convaincre les entreprises qu’elles n’auront (presque) pas à vous former à leur méthodologie. Selon cette même idée, avoir une expérience sur un moteur de fiction qui a fait ses preuves dans l’industrie (par exemple, Ink) est un bon point. Si cette expérience a impliqué de connecter votre travail à un moteur de jeu (Unity, Unreal, Godot…), triplez votre score. Et multipliez-le encore si ce travail a été fait en collaboration avec différents corps de métiers, et que vous avez pour cela utilisé un gestionnaire de sources tel que Git ou SVN. À l’inverse, les fictions à analyseur syntaxique ne sont malheureusement que peu considérées, inutile donc de les mettre en avant.
Sachez enfin qu’une grande partie des studios attendront de vous d’écrire dans un anglais nuancé et littéraire. Il existe évidemment des équipes travaillant en français, mais elles sont rares et de petite taille. Quoi qu’il en soit, ne laissez aucune faute passer ! Contrairement à la littérature, le jeu vidéo n’emploie pas de personnes pour vous corriger, et vous devrez en conséquence avoir une orthographe parfaite.
Faire du mercenariat
Bon, on sait que le salariat n’est pas forcément pour tout le monde, surtout compte tenu des conditions de travail du jeu vidéo. Si ce qu’il vous faut, ce sont des petites missions toujours différentes, facturées à la journée, et aucun·e patron·ne pour vous commander, alors j’ai une bonne nouvelle : il est aussi possible de mettre vos compétences à dispositions d’institutions et d’entreprises très différentes en tant que freelance.
Mener un workshop Ink pour le compte de l’Institut français de Serbie. Créer pendant un an des FI sur Moiki avec une classe de quatrièmes. Concevoir un escape game pour une marque d’alcools de luxe. Scénariser une murder party pensée pour un team building. Réaliser le script scénaristique d’un clip musical interactif. Écrire un livre dont vous êtes l’héroïne autour d’une histoire de romance. Imaginer un scénario de jeu de société d’enquête pour les enfants. Toutes ces missions sont des exemples réels, et il y en a bien d’autres !
Où trouver ces missions ? Encore plus qu’ailleurs, c’est votre réseau qui fera tout. Le paradoxe est assez terrible : les client·es peinent souvent à trouver des freelances, et les freelances peinent davantage à trouver des missions. Pour casser cela, il faut montrer aux autres que vous existez et que vous pouvez répondre à leurs besoins. Participez aux évènements autour de ces sujets (salons pro, afterworks, etc.), présentez-vous en tant que personne à la fois disponible et expert·e, gardez contact avec tout le monde, travaillez votre présence en ligne, faites-vous présenter aux agences d’évènementiels en recherche de talents… Ce qui m’a sauvé : trouver un autre freelance victime de son succès, et lui proposer de récupérer les missions qu’il ne pouvait pas mener.
Si vous parvenez à tomber dans les bons carnets d’adresses, vous serez soudainement débordé·e, et votre plus gros problème sera d’apprendre à dire non aux nouvelles propositions. C’est à ce moment que je me dois de vous mettre en garde : le freelancing reste une position précaire, injuste, qui peut vous laisser sur le banc de touche longtemps pour peu que vous n’ayez pas eu la chance de croiser les bonnes personnes au bon moment. Et même en cas de succès, tout peut s’arrêter du jour au lendemain.
La plupart des freelances ont le statut de micro-entrepreneur, sans comptable ni TVA pour peu que leurs revenus annuels restent en dessous d’un seuil (entre 36 800€ et 39 100€ selon les années). Ce starter-pack « phobie administrative » est le plus simple et donc celui que je recommande. Vous n’aurez qu’à apprendre à rédiger devis et facture, et à déclarer vos revenus à l’URSSAF et aux impôts. Il y a aussi d’autres modèles, plus compliqués administrativement, comme monter une véritable entreprise voire vous entourer d’une équipe complète.
Certaines entreprises sont plus familières avec le statut d’artiste-auteur. Ce sera le cas si vous travaillez sur des livres-jeu pour une maison d’édition, ou sur un scénario interactif pour un groupe audiovisuel, par exemple. Pour ces missions, la négociation se fait sur un à valoir (une partie de vos droits d’auteur versés en amont), dont vous touchez une moitié à la signature, et une autre moitié à la livraison. L’autre partie de vos droits prend la forme d’un pourcentage sur les ventes, mais il est très rare que celui-ci se montre significatif.
Reste la question de la rémunération, moins évidente à aborder, car aucunement documentée. À titre personnel, je conseille de ne jamais descendre sous 40€ de l’heure, ou 280€ la journée. « 280€ la journée ? C’est 5 600€ le mois, 67 200€ l’année ! Le titre de cet article disait donc vrai ! » Si vous atteignez ces sommes, c’est que vous travaillez sans jamais tomber malade, partir en vacances, et que vous faites votre démarchage de clientèle, votre comptabilité et votre facturation la nuit. Même si vous vouliez tenir ce rythme idiot, il n’a de toute façon pas assez de client·es pour remplir tout ce temps.
Considérez que vous n’allez « travailler » (ou plutôt, être rémunéré·e pour votre travail) que la moitié de l’année — au mieux ! Dit autrement, vous devez faire votre chiffre d’affaires annuel en six mois. Donc même à plein temps (ce qui ne m’est jamais arrivé en cinq ans de freelancing), vous ne ferez que 33 600€ de chiffre d’affaires. L’URSSAF en prendra 20%, et le reste servira à tout le reste : salaire, impôts, congé maladie, mutuelle, allocations chômage… Bref, ces 280€ sont un strict minimum à titre indicatif. En réalité, une bonne négociation démarre à 500€/jour, en espérant avoir 400. Et si l’on vous dit oui sans sourciller, c’est que vous auriez dû demander 700.
Tout ça pour quoi ?
Certes, je ne vous ai pas menti, il y a au moins quelques euros à se faire… au prix d’un travail souvent conséquent, parfois angoissant. Bref, ne plaquez pas tout avant d’avoir bien étudié votre coup, et posez-vous la question la plus importante : voulez-vous vraiment sacrifier votre passe-temps favori pour en faire une activité rémunératrice ? Au-delà du temps et de l’argent que vous allez investir dans cette nouvelle carrière, c’est aussi la transformation de votre rapport à l’écriture qui vous guette.
Pour toi dont les espoirs de richesse ont été douchés par cet article, ne crains rien, il existe encore une ultime option. Si tu ne peux pas devenir millionnaire avec la fiction interactive, tu peux le devenir en formant les autres à devenir millionnaire avec la fiction interactive. Et pour cela, tu n’as qu’à suivre ma formation pour former les autres à devenir millionnaire avec la fiction interactive (tu me suis ?). Cette fois-ci, pas gratuite du tout.
Un grand merci à Lilie, BennyDanette, HugoLabrande, Manonamora, Florent Maurin et Atozi qui ont accepté de répondre à mes questions pour la rédaction de cet article.
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