Il y a quelques mois, j’ai fait une expérience bien malgré moi. Ma vie personnelle était en bazar à cause de multiples facteurs, et je n’ai pas joué à un seul jeu en parser pendant trois mois. En fait, 100 % de mon temps consacré au jeu vidéo était des applications mobiles pas toujours chouettes mais qui ne me prenaient pas la tête et auxquelles je pouvais consacrer une minute trente. Puis, j’ai acheté pendant les soldes Steam un jeu à analyseur syntaxique, un des rares à être publiés sur Steam. Ce que j’ai vu m’a rendu furieux.
Furieux ?
Oui, je vous assure ! J’étais très, très énervé par ce que j’ai vu. Le jeu (je ne le nommerai pas) a fait un Kickstarter qui a levé des milliers de dollars, a eu des critiques intéressantes de la presse spécialisée, faisait un peu de buzz… et au final je suis absolument persuadé que ce jeu n’a convaincu que peu de débutants de l’essayer, les a découragés instantanément, et par extension donne une image déplorable de la FI à parser. Voilà, c’est dit.
Un peu d’introspection tout de même : ce que je vais dire n’est en fait absolument pas spécifique à ce jeu. En fait, il n’est ni le premier, ni le dernier à pécher de la sorte. Et j’irai même jusqu’à dire que j’ai aussi péché comme ça. Mais cet article est l’occasion pour moi de dire « Stop ! Plus jamais ! Il faut que ça change ! ». C’est ça qui me rend furieux : avec le recul, des choses assez répandues et normalisées dans la communauté du parser sont en fait effroyables, et le fait qu’un jeu commercial avec une bonne com’ ait reproduit ces choses-là me donne une impression de gâchis horrible.
If you need help playing this game, just type >help.
C’est là que les ennuis commencent. Alors que l’introduction fait 4-5 paragraphes qui remplissent le premier écran, taper « help » fait vomir à l’ordinateur pas moins de deux écrans et demi de texte. Je dis vomir car l’impression de projection, de vitesse est présent et donné par le scrolling : le jeu fait défiler le texte de façon floue jusqu’à arriver à la fin de l’aide. En termes techniques on appelle ça du text dump, et on sait depuis longtemps qu’il faut éviter. Le fait que la couleur du texte en gras ne soit que peu différente de la couleur de la police usuelle n’aide pas du tout à la lisibilité.
Donc : un joueur demande de l’aide, et on lui lance un pavé sur un coin de la tête. On a déjà perdu beaucoup de joueurs, et paniqué le reste.
L’aide commence par dire « c’est une FI, il faut taper des commandes. Le plus important dans ces jeux c’est les objets, donc tapez >regarder pour avoir une idée des objets autour de vous. Si vous tapez >examiner truc, vous aurez des infos supplémentaires. » (mais en 4 paragraphes plutôt que 3 lignes). Pourquoi pas. On parle ensuite de personnages ; un peu prématuré (on commence seul dans un appartement mal rangé, comme 50 % des jeux de parser anglophones…) mais bon c’est plutôt simple donc pourquoi pas. On donne ensuite des exemples de commandes, là encore pourquoi pas, plutôt classique, un peu long, bon.
Ensuite, on vous dit « vous voulez sans doute utiliser des abréviations ». C’est là que ça se corse. Un débutant complet, à ce stade, aura juste tapé « help ». N’a jamais tapé une commande de sa vie. Et on lui dit qu’il peut abréger en apprenant des raccourcis pour des verbes qu’il n’a jamais essayés. C’est prématuré ! Il faut d’abord laisser le joueur utiliser les verbes, pour voir comment ils marchent, avant de se stresser à abréger les verbes ! Donc le joueur débutant va soit dire « ouh là là, euh, je suis obligé ? » et se forcer à lire (ou pire, chercher à les apprendre !), soit passer. Mais si il passe, il a perdu ! Hé oui, car dans la liste des abréviations, il y a « >i pour Inventaire (savoir ce que vous portez avec vous)
» : c’est la seule mention de cette commande cruciale (bah oui, dire au joueur qu’il peut porter des objets, pour s’en servir plus tard, comme dans un point-and-click, c’est important) dans toute la commande d’aide ! Quelle erreur !
Revenons aux fondamentaux : quand est-ce que les abréviations servent ? Elles servent quand vous n’avez même plus besoin de chercher le verbe qu’il vous faut, que vous commencez à avoir des automatismes, de l’aisance, à réfléchir de façon plus abstraite. Du genre « ah, donc il faut que je retourne dans la serre regarder le pot de fleurs de plus près : allez, rapido : n, n, e, n, w, x fleur », ou « ok, dans la description il y a une clé rouge, un aquarium, un verre et un scaphandre, voyons voir : x clé, x aquarium, x verre, x scaphandre ». Le cheminement normal dans l’apprentissage du parser, c’est commencer par écrire « aller au nord », puis faire « nord », puis « n » ; ou « examiner le lapin blanc », puis « examiner lapin », puis « x lapin ».
Donc les abréviations ne servent pas tout de suite pour un joueur débutant, loin de là ! En y consacrant un demi-écran de la sorte, on fait peur et on surcharge le joueur d’informations. Cette section comporte une liste d’une dizaine d’abréviations (en vrac, pas triées, toutes présentées sur le même plan), et se conclut par un magnifique « si vous voulez avoir une liste plus complète d’abréviations, tapez >abréviations
». AH BAH OUI ÇA DONNE ENVIE DITES DONC.
Le fun ne s’arrête pas là. On vous parle ensuite de la commande « undo », pour annuler l’action et revenir un tour en arrière. Un quoi ? Un tour, oui. C’est quoi un tour ? Ça n’est pas expliqué dans l’aide. Et avant on vous disait aussi « >z pour >wait, pour faire passer le temps dans le jeu
». (Euh donc si j’attends moi même le temps ne passe pas dans le jeu ? C’est pas en temps réel ? Et pourquoi faire passer le temps dans le jeu ?) Il y a là une petite difficulté : il est important de dire que dans ce jeu rien ne se passera tant que vous ne tapez rien (au contraire d’un MUD ou de Border Zone ou Omeyad). Mine de rien c’est une convention qui ne coule pas de source !
La ligne suivante fait monter ma colère d’un cran. « >again ou >g pour répéter votre dernière commande
». La question qu’on peut se poser c’est « pourquoi ? Pourquoi je veux répéter ma dernière commande ? Ça sert à quoi ? ». Mais apparemment, c’est super important, vu que ça vient juste après UNDO, et qu’il y a même une abréviation spéciale, « g ».
JE N’AI JAMAIS UTILISÉ CETTE COMMANDE DE MA VIE.
C’est une commande qui ne sert strictement à rien. Elle vous évite de retaper quelque chose. Pourquoi auriez-vous besoin de retaper une commande à l’identique ? Si vous vous attendez à un résultat différent, par exemple si vous voulez lancer une pièce jusqu’à tomber sur pile. C’est tout. Ça sert pour les « énigmes » où il y a un résultat aléatoire et que vous en voulez un plutôt que l’autre. Ce jeu comporte-t-il tant d’énigmes de la sorte que la commande doit être mentionnée ? J’en doute. (Ah non, ça sert aussi dans les jeux horribles où si vous examinez un objet 2 fois vous trouvez plus d’informations et résolvez plus d’énigmes que si vous examinez une seule fois. Vous le savez pas, vous tournez en rond, puis vous regardez et l’aide dit « il faut examiner ça deux fois ». GRRRRRRR.)
Hé au fait, vous savez ce qui vous évite de retaper une commande ? D’appuyer sur la touche « flèche du haut » de votre clavier, ce qui fait défiler les commandes que vous avez tapées. Cette fonctionnalité est présente dans le jeu. (Cette fonctionnalité est présente dans tous les interpréteurs depuis des décennies ; elle n’était peut-être pas présente sur les jeux Infocom des années 80 et c’est pour ça qu’on a créé « again ».) Cette fonctionnalité est utilisée par les joueurs de parser avertis depuis la nuit des temps. Cette fonctionnalité N’EST PAS MENTIONNÉE DANS L’AIDE. Sérieusement, on ne vous dit jamais que vous pouvez appuyer sur la flèche du haut pour parcourir l’historique des commandes, alors que c’est ce que tous les joueurs avertis font.
Ligne suivante, je perds toute contenance. Je vous la transcris verbatim :
>oops, qui vous laisse corriger une faute d’orthographe. Si vous tapez >x chiase, vous pouvez corriger avec >oops chaise. Vous pouvez abréger en >o chaise.
Respirons un grand coup. Passons sur le fait que la présentation de « >oops » ressemble à celle « >undo » et « >again », qui ne prennent eux pas d’arguments. Le jeu nous dit : si vous tapez quelque chose de faux, vous pouvez le corriger (c’est-à-dire ? La commande d’avant ne disparaît pas, vous savez) en tapant quelque chose d’encore plus long. Plutôt que de retaper votre commande, voyez. (Mais euh pourquoi ne pas retaper ?) Et mieux ! Vous pouvez abréger. Si vous vouliez dire « x chaise » vous pouvez taper « o chaise » à la place (mais pourquoi ?? pourquoi o et pas x ? C’est la même longueur, pourquoi s’embêter ?).
La commande oops a été inventée dans les jeux Infocom. Je n’ai jamais joué à une FI sur un micro-ordinateur, mais je pense que cette commande, ainsi que again, et peut-être même les abréviations, ont été inventées parce que ça prenait du temps de taper quelque chose au clavier. Pas forcément en terme de vitesse de frappe (quoique, les vieux claviers…), mais en terme aussi peut-être d’affichage à l’écran ; si une lettre prend 100 ms à s’afficher, « mettre la carafe sur le plateau du martin de droite » vous prend beaucoup de temps. Et si l’ordi vous dit non parce que vous avez écrit « martin » au lieu de « marin », vous ragez. Et c’est LÀ ET SEULEMENT LÀ que « oops » prend tout son sens : « oops marin » vous évite de tout retaper. L’exemple « x chiase » est extraordinairement mal choisi.
Il y a encore plus rigolo : si je ne dis pas de bêtises, la commande « oops » n’a pas été utilisée par un joueur depuis des années. Comment je le sais ? Si ma mémoire est bonne, il y avait un bug dans la bibliothèque Inform 6 sur le fonctionnement de « oops », qui n’arrivait jamais à remplacer les trucs correctement ; je le sais parce que ce bug n’a été résolu que récemment. Donc pendant des années, cette commande ne marchait pas. Et personne ne s’en est plaint. Vous savez pourquoi ? Parce que les gens APPUYAIENT SUR LA FLÈCHE DU HAUT et éditaient leur commande. Mais comme on ne parle pas de ce truc dans l’aide, ben…
« Si vous avez besoin de plus d’aide, >instructions vous donnera une liste (très détaillée) de ce que vous pouvez faire »
NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON
>instructions
Un MENU NAVIGABLE AU CLAVIER avec QUINZE ITEMS DIFFÉRENTS s’affiche.
CHAQUE ITEM EST UN TEXT DUMP.
À LA FIN IL Y A UNE CATÉGORIE « AUTRES COMMANDES » AVEC 20 COMMANDES
DES ASTUCES ? UN TEXT DUMP QUI DIT NOTAMMENT QUE VOUS POUVEZ UTILISEZ LA BARRE DE DÉFILEMENT POUR FAIRE DÉFILER LE TEXTE
TIENS VOILÀ LE MANUEL DE MON JEU Y’A 40 PAGES SI TU DÉBUTES ÇA DEVRAIT T’AIDER NON ?
Calmons-nous
Ok ça va mieux
Pourquoi je râle ? Sans doute parce que je l’ai fait moi-même dans ma carrière. Sans doute parce que le contexte est différent : quand vous lancez un jeu sur Steam, vous vous attendez à quelque chose de mieux fait que les jeux gratuits amateurs de fiction-interactive.fr ; et vous comparez au reste des jeux Steam, et pas au reste des FI. Sans doute parce que j’ai été prof dans une autre vie et que j’ai acquis une certaine appréciation de la pédagogie, l’art de présenter les choses précisément, dans le bon ordre et en bonne quantité, pour stimuler l’intérêt et ne pas lâcher les élèves ou abaisser leur confiance en eux. C’est une expertise souvent négligée, que tous les profs n’ont pas, mais que tous les bons profs ont, et qui est importante dans le jeu vidéo mine de rien.
Et sans doute aussi grâce à mon détour par le jeu mobile. J’ai surtout joué à des idle games et des jeux de carte à collectionner. Pour ces derniers, souvent, il y a plein de choses : du combat, du crafting, des boosters, de l’énergie, de l’XP, etc. Que fait le jeu ? Quand vous le lancez pour la première fois, le jeu vous prend par la main, et vous dit d’appuyer sur ce bouton. Bon, maintenant on va ouvrir un booster, alors cliquez sur le booster pour l’ouvrir. Vous avez des cartes ! Regardez, elles sont dans votre collection, accessible avec cet onglet. Vous avez augmenté de niveau aussi ! Cliquons sur level up ; vous avez un booster. On fait quoi ? Ouais, ouvrez-le. Maintenant faisons notre première combinaison de cartes : fusionnez celle-ci et celle-ci. Etc, etc : pendant 5 minutes, le jeu vous dit exactement quoi faire. Et ils ne vous montrent pas toutes les fonctionnalités : juste assez pour que vous puissiez vous dépatouiller avec les premières actions et commencer à avancer et obtenir les premières récompenses ; le reste est introduit sous forme de popups quand vous appuierez sur un bouton en disant « hé tiens, qu’est-ce que ça fait si je fais ça » – une fois que vous avez un peu plus confiance en vous et que vous êtes prêt à explorer.
Ça, c’est un bon tutoriel. Pas « lisez les règles du jeu ».
Pourquoi on ne ferait pas ça ?
Pour être tout à fait franc, le parser est une niche et les auteurs étaient bien contents d’y rester : il y a quelques centaines de joueurs, mais qui connaissent très bien le genre et les conventions ; on n’a pas besoin de penser trop aux débutants, le cercle de joueurs est suffisant. Et ça se comprend : faire un tutoriel, c’est long, c’est pas amusant, et pour un jeu gratuit, que vous êtes seul à faire, sous la deadline d’un concours (dans lequel personne d’autre n’aura fait de tutoriel), avec un temps de jeu total de 30 minutes, pour 30 potes, ben ça va bien quoi. Et je l’annonce tout de suite : pour mon prochain petit projet, je n’aurai sans doute pas de tutoriel, juste une commande « aide » qui donne 3 exemples de commande, pas beaucoup plus.
Mais ce dont il faut prendre conscience, c’est que si on parle de faire connaître le parser à plus de monde, à sortir le parser de sa niche, à commercialiser des jeux à parser, à les mettre sur Steam, à faire des Kickstarters, à se demander si on pourrait un jour passer pro et vivre de ses jeux, il est absolument impensable de rester sur ce mode-là. Si on veut avoir du succès il faut vouloir laisser tout le monde embarquer à bord, leur dérouler le tapis rouge, ou au moins une passerelle, et pas leur lancer une corde et un manuel sur la tête. Et c’est pour ça que je suis en colère contre ce jeu : il a l’ambition de gagner de l’argent, de rivaliser avec d’autres productions indépendantes ; il est une occasion unique de faire connaître le genre, et… le travail n’est pas fait sur l’accueil de nouveaux arrivants. Avec ce genre de choses, le genre restera insulaire et pour longtemps.
Haut les coeurs ! De nos jours, nous avons les capacités techniques pour changer ceci ! (Grâce à Vorple, mais pas que !) De nos jours des milliers de jeux ont des tutoriels bien fichus et peuvent nous donner des idées à transposer ! Il suffit de se retrousser les manches et d’y consacrer un peu de temps. Si votre projet est long et ambitieux, vous ne pouvez pas vous permettre de négliger sur le début du jeu et la familiarisation du joueur avec le jeu et ses mécanismes. Tous les autres jeux, indépendants ou AAA, le font, alors faites un effort !
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