Cette année, c’est manonamora qui a remporté le concours, avec sa participation DOL-OS. Nous nous sommes donc entretenu avec elle afin d’en savoir plus sur son processus créatif et ses futurs projets !


Peux-tu te présenter en quelques mots ? Comment as-tu découvert la fiction interactive ?

Je m’appelle Manon, citoyenne du net sous le pseudo manonamora depuis des années.

Je suis tombée dans la marmite des fictions interactives durant le printemps 2021, quand un proche m’avait envoyé un peu au hasard le lien du jeu A Tale of Crowns. Ce type de jeu m’a bien plu, et m’a fait redécouvrir le plaisir d’écrire, alors je suis restée dedans. C’est pas mal dans la marmite, on s’amuse bien !

Les gens ont apprécié les différents niveaux de profondeur de ta participation et le soin apporté à l’interface, notamment. Combien de temps t’a pris sa conception ?

C’était un peu le sprint… ?

Je crois avoir commencé à gribouiller mes idées sur des bouts de pages à peu près un mois avant la date limite de la soumission des entrées.

Je voulais essayer d’incorporer les deux thèmes (archives et trahison) dans le jeu, juste pour le fun. Donc j’ai pris le chemin le plus facile et je suis partie sur la création d’une archive de documents différents, tous liés par le thème de la trahison. De ma liste de documents que je voulais inclure, je n’ai pu en inclure que la moitié à la fin (l’autre est restée en brouillon, du fait de manque de temps).

L’idée d’utiliser un ordinateur comme cadre et interface pour le jeu est arrivée assez rapidement et organiquement, vu que l’archive seule n’était pas assez, à mon goût. Cela a amené la possibilité d’ajouter des puzzles (quelque chose que je n’avais pas forcément fait dans mes autres jeux) que je pouvais relier aussi au thème (comme la solution du pendu ou l’ouverture du compte de Théophile) et de créer des visuels animés et pixelisés (comme un faux virus téléchargé). J’avais même fait une liste de puzzles et de minijeux à ajouter pour que l’ordinateur ait l’air d’un vrai ordinateur (c’est pour cela qu’il y a un sudoku dans le dossier « jeux », ou le pavé numérique pour ouvrir un des programmes).

À partir de là, je pensais juste faire deux blocs d’archives : un sur le compte de l’invité, où une partie des documents auraient l’air corrompu, et un autre sur le compte de Théophile, où se trouveraient ces documents manquants. Mais en écrivant certains documents, comme la note dans la poubelle et les entrées du journal (qui n’était pas séparées de l’archive au départ), je me suis amusée à chercher les liens entre toutes les différentes parties et à penser plus à l’univers dans lequel se trouvait ce vieil ordinateur. C’est comme ça que le projet Jupiter-Broker est devenu un projet d’intelligence artificiel, plus qu’un virus.

Quelles sont les choses qui t’ont inspirée ?

À part un titre que j’avais noté dans mes brouillons, je ne suis pas certaine de la source qui m’a inspiré à choisir ce genre ou ce cadre ou l’utilisation du thème de cette manière. Je suis super fan de science-fiction depuis toujours (j’avais avalé les Asimov au collège… et là je me colle les anthologies de nouvelles) et de jeux vidéo en général (surtout l’histoire et l’univers de ces jeux). Tout ce qui en rapport avec les robots, l’avancement de la technologie, les histoires futuristes, et les dilemmes humains en rapport avec ces premiers points, ça me passionne ! Ça ne m’étonnerait pas que, quelque part dans ma cervelle, j’ai pu piocher des trucs de Portal ou de System Shock ou de Fallout ou du Cycle des Robots d’Asimov, ou même encore WALL-E et Alien, sans trop m’en apercevoir.

Dans mes notes, le seul truc concret que j’ai pu retrouver était une des entrées de la game jam Intertact-IF 2022 : Logical Choices (en anglais), surtout en terme de sa simplicité, et, finalement, le journal aussi.

Pour le visuel, je voulais dès le départ avoir quelque chose de simple, avec l’aspect de vieil ordi en noir et vert, comme le minitel de ma grand-mère. J’ai vraiment essayé de rechercher des images de pages de minitels (j’ai même trouvé un éditeur de pages !). Par contre, essayer de coder le tout, ça n’allait pas vraiment avec Twine, surtout l’animation des blocs qui apparaissent les uns après les autres. J’étais vite fait tentée de créer le jeu en pages de minitel, mais bon, il me restait seulement 2 semaines… c’était un peu court pour apprendre un nouveau système. Donc je me suis juste inspirée de photos de vieux écrans d’ordinateur.

Y a-t-il des secrets que les joueurs auraient pu manquer ?

Il y a plusieurs petits secrets dans le jeu.

La première catégorie concerne les noms dans le jeu : le titre, « DOL-OS », est basé sur la divinité grecque du même nom, Dolos, personnifiant la traîtrise (et pif, le thème du concours et ça sonnait bien comme nom de système d’exploitation). L’IA est nommé Janus, la divinité aux deux visages/façades. Le programme du journal de Théodore, dans lequel il a été sommé par son organisation d’écrire ses journées, est nommé « Ind.ic », venant du mot indic, une personne qui renseigne la police.

Un truc un peu plus flou peut être trouvé dans le brouillon de l’écrivain, qui a un lien avec un de mes autres jeux, Exquisite Cadaver, où le joueur incarne cet écrivain, qui n’arrive pas à écrire depuis des mois. Ce n’est pas la première fois que j’inclus un lien vers ce jeu dans mes projets, comme le « cocktail » Renaud’s Nightmare dans The Thick Table Tavern.

Où trouves-tu tes idées, de manière générale ?

Un peu partout. Des fois, ça vient assez organiquement en regardant le thème ou les contraintes d’une game jam (La Petite Mort, Goncharov Escapes!). Des fois, c’est juste l’envie de pousser un genre de puzzle ou un type de gameplay dans un projet (Exquisite Cadaver, bon c’était aussi le thème). Des fois, c’est taper « cliché [genre] » dans Google et prendre le premier truc qui ressort (SPS Iron Hammer). Sinon j’ai quelques idées qui ont été inspirées de livres (P-RIX – SPACE TRUCKER, de Tales of Pirx the Pilot de Stanisław Lem) ou de films (Meeting the Parents, inspiré de Mon Beau-Père et Moi). D’autres projets ou idées pour des projets futurs sont inspirés des livres sur ma table de nuit, ou de conversations avec des proches, ou même juste des pensées qui vont et viennent un peu au hasard.

J’essaye pas trop de me prendre la tête. Si ça ne m’inspire pas ou si ça ne m’amuse pas, je passe à autre chose. Créer de la fiction interactive, c’est surtout pour le fun. Et puis, j’ai déjà une super longue liste d’idées à essayer…

Tu utilises exclusivement Twine. Y a-t-il une raison particulière ? Comptes-tu essayer d’autres systèmes de création dans le futur ? Peut-être que certaines des autres participations t’ont donné des idées ?

Pour l’instant, oui. Twine reste mon chouchou, ayant été le premier programme avec lequel j’ai accroché lorsque je commençais à créer des jeux interactifs. Le logiciel était facile à naviguer et plutôt ludique à utiliser (Harlowe a une aide supplémentaire pour coder dans le programme) et le programme est open source. C’était vraiment important pour moi, qui n’avait des connaissances de code ou de programmation qui n’allaient pas plus loin que cette heure de techno au collègue où un suppléant nous avait appris à créer une page HTML basique. Avec Twine, ça a collé dès le départ.

Et puis, personnellement, j’aime beaucoup que l’aspect de personnalisation peut être autant poussé. On peut faire de l’hypertexte ou des jeux à choix multiples, des donjons, des RPG, etc. J’ai créé un bar à cocktail pour ma participation à l’IFComp l’année dernière, et là j’ai fait un puzzle. J’ai un ami qui a recréé Démineur et un autre qui a fait Snake à sa sauce. Presque tout est possible avec Twine !

Quand j’en aurai assez avec Twine, je pense que j’essayerai d’autres systèmes, surtout ceux pour créer des parsers (parce qu’en faire un avec Twine, c’est un peu la pagaille… /vécu). Et puis aussi tester les programmes made in France. Déjà durant l’ECTOCOMP et les streams de Feldo des jeux des anciens concours, Donjon m’avait beaucoup intriguée. Et aussi ink, pour faire des histoires qui s’étendent jusqu’à l’infini (il faut trop bidouiller avec Twine pour que ça marche…).

Mais bon, mon histoire avec Twine n’est pas encore terminée. J’ai seulement commencé à jouer avec l’interface depuis l’été dernier, et je n’ai pas encore impression d’avoir découvert le dessous de l’iceberg. Il y a encore pas mal de choses que je n’ai pas encore testées, que ce soit au niveau des différents formats ou de gameplay. J’aimerais faire un genre d’escape room ou de RPG dans le futur. Je veux encore pousser le bouchon un peu plus loin…

Tu as participé à l’IFComp (le plus gros événement anglophone) avant de participer à notre concours. Y a-t-il des différences qui t’ont particulièrement frappée entre les deux ?

En passant à côté de l’inclusion d’un thème (ce que l’IFComp ne fait pas), je crois que la plus grosse différence entre les deux concours est l’attitude des participants et des joueurs. L’ambiance du concours francophone est vraiment détendue et j’ai remarqué beaucoup d’entraide dans sur le Discord. Ou même avoir une personne qui stream tous les jeux sur Twitch (c’est très pratique pour moi qui suis naze en parsers…). C’est vraiment positif !

De l’autre côté, il y a l’IFComp qui est vraiment considérée comme l’événement de l’année, où les auteurs exposent leurs meilleures créations, sans vraiment de contraintes, certaines ayant été en développement secrètement durant des années. L’ambiance est plus professionnelle et dure envers ses participants. Il y a vraiment beaucoup d’attente de toute la communauté de fiction interactive. C’est supposé être la crème de la crème de la fiction interactive.

Après, même si l’ambiance du concours francophone est plus bon enfant, j’ai trouvé le niveau des entrées beaucoup plus uniformes en terme de qualité. Alors que l’IFComp va souvent avoir des participations très médiocres ou même nulles (le bas du classement ayant une moyenne en dessous de 2.5 sur 10), la globalité du concours francophone avait du très haut niveau (un sentiment partagé par un des critiques sur intfiction.org). L’attention à chaque jeu avait beaucoup de mérite, surtout en ce qui concernait l’écriture.

Une autre chose qui m’avait frappée aussi était la diversité entre les systèmes et les formats utilisés — il est possible que le concours, ayant trois fois moins de soumissions que l’IFComp, ait pu influencer ma perspective sur le sujet. Mais entre les programmes français (Moiki, et Donjon), ceux plus populaires (Twine, Inform, ink), ou même faits de toute pièces (comme les participations d’AZ et de Narkhos), il y avait beaucoup de choix et d’importantes différences entre les utilisations. C’était une expérience fascinante qui m’a donné vraiment encore plus envie d’essayer quelque chose de nouveau.

Enfin, envers les deux concours, j’avais une attitude bien différente. Après m’être prise une petite raclée durant l’IFComp (en arrivant au milieu de la pile et ayant reçu des retours justes mais aussi sévères, en lire plus ici), l’attente que j’avais avec moi-même avec le concours était moins d’essayer d’arriver à une certaine position du classement, mais plus de m’amuser en créant quelque chose de différent. C’était bien plus facile d’avoir un regard un peu plus… sain envers les compétitions, avec toutes les leçons apprises durant l’IFComp et les nouvelles connaissances et expériences entre les deux concours.

Et en plus de ça, tu participes régulièrement à des game jams comme l’ECTOCOMP ou la Partim 500, tu coorganises la SeedComp!, et tu vas participer à la Spring Thing. Y aurait-t-il un secret pour une telle productivité ?

De la délusion que tout cela soit faisable dans le temps imparti. Du temps libre. Et de la hargne. Mais surtout le premier point. ?

Après je n’aide pas ma cause non plus. Dès que je trouve un projet un peu intéressant, je peux m’emballer assez rapidement et y mettre toute mon énergie et mon temps libre. C’est pas trop recommandable, en fait. Même si toutes ces participations m’ont appris beaucoup de choses (et surtout d’apprendre rapidement), ça fatigue beaucoup à la fin… Je suis souvent vidée à la fin de chaque nouvelle jam/compèt’.

C’est sûrement aussi un peu psychologique. La volonté de créer beaucoup pour laisser une trace derrière moi, une trace qui représentera tout ce que j’ai pu accomplir, tout ce que j’ai pu être capable de faire ou essayer de faire. La volonté de me prouver aux autres et surtout à moi-même que je peux créer des trucs que moi petite n’aurait pas pu imaginer ; surtout qu’avant 2021, je n’avais vraiment pas de connaissances de programmation… La volonté, ou peut-être le devoir, de prouver que je peux résoudre un challenge en peu de temps (par exemple : en 4 heures pour l’ECTOCOMP, ou deux aprèms tranquilles pour la Partim 500), ou avec des contraintes importantes (la One-Button et Two-Buttons jams), ou juste parce qu’il y a un bout de spaghetti de code qui me nargue de le démêler.

Bref…

As-tu d’autres projets en cours ou pour bientôt ? Peut-être comptes-tu participer au concours l’année prochaine ?

De ce qui arrive bientôt, si tout va bien, The Roads not Taken, un parser fait avec Twine, sera fini à temps pour la Spring Thing. J’ai vraiment envie d’en parler, mais en même temps, c’est plus drôle si ça reste encore un peu secret…

Sinon… Beaucoup trop de projets en cours. Entre les démos pas encore terminées, les traductions de mes anciens jeux finis, l’organisation de game jams (la SeedComp! ne sera pas la seule cette année…), et l’espoir de participer aux prochains concours de FI, je me suis donnée beaucoup (trop) de pain sur la planche.

Ha ha ha ha…


Merci d’avoir répondu à ces questions ! Encore bravo, bon courage et n’oublie pas de quand même prendre un peu soin de toi !