Netflix vient de sortir un autre film interactif, tiré de Unbreakable Kimmy Schmidt, série enlevée écrite par Tina Fey et qui a donné lieu à nombre de gifs de Titus Andromedon. La série s’est arrêtée il y a quelque temps sur un happy end, et cet épisode se passe un peu plus tard, alors que Kimmy Schmidt va se marier avec un prince anglais.

Cet épisode n’est à l’heure actuelle pas disponible en France — de sombres histoires de doublage et de Covid-19, m’a-t-on dit. Mais ici, à Fiction-interactive.fr, on a plein d’articles sur les films interactifs, dont deux productions Netflix précédentes : « You vs Wild », et « Bandersnatch ». Du coup, comme on est un peu des grosses huiles de la fiction interactive en France, Netflix nous a emmenés en jet privé aux États-Unis pour qu’on puisse regarder l’épisode en exclusivité et vous raconter les détails.

Non pas du tout, en fait l’épisode est disponible au Canada alors je l’ai regardé. Voilà.

Retrouvons Kimmy

Je dois vous avouer tout de suite que je n’ai pas regardé « Unbreakable Kimmy Schmidt » jusqu’au bout. Pour ceux qui ne connaissent pas, Kimmy Schmidt est rescapée d’un bunker où elle a passé la plus grande partie de sa vie, maintenue en isolation avec d’autres femmes par un révérend qui les manipulait et les utilisait. Kimmy déménage à New York, et doit apprendre à vivre ; elle détonne par son caractère jovial, positif et profondément bon, par rapport à, ben, New York, quoi — la grande ville stressée où les riches s’essuient les pieds avec les pauvres. L’histoire de cet épisode spécial est que Kimmy Schmidt découvre dans ses affaires venant du bunker un livre (dont vous êtes le héros, clin d’œil) qui ne lui appartient pas, ce qui laisse à penser que le révérend avait d’autres bunkers ; elle se met en route pour les sauver.

Le ton de la série est, comment dire, particulier. Ne vous attendez pas à de la subtilité dans les personnages ou la façon de jouer : les répliques fusent à 100 à l’heure, les réactions des personnages sont too much, il y a un sac à dos qui parle, des méchants très méchants et puérils, etc. Mais ça n’est pas grave : c’est un parti pris artistique. Le but est d’avoir une série très rythmée, une densité de blagues importante pour nous tenir en haleine, et un message positif, avec une héroïne dont la naïveté, mais aussi et surtout la bonté et la positivité, sont indéfectibles et finissent par triompher de tout.

Bien que la série se soit arrêtée il y a 18 mois, vous retrouverez, je pense, la Kimmy Schmidt d’antan. Toujours autant de blagues, toujours un ton enjoué, et un message positif malgré une thématique noire, puisqu’il s’agit de libérer d’autres femmes tenues en captivité. Il y a aussi des apparitions drôles (Josh Groban dans une des fins, Chris Parnell et Jack McBrayer de 30 Rock), Jon Hamm qui reprend son rôle de la saison 1, et Daniel Radcliffe qui se fond clairement dans le ton de la série avec délice. Je pense ainsi que l’épisode contentera les fans de la série.

Au passage, je pense que le choix de l’histoire est assez malin : bien que les personnages soient dans les situations dans lesquelles on les a laissés à la fin de la saison 4, les événements et thématiques font écho assez fortement à la saison 1, et au pitch de la série, qui est frappant et original. Si, comme moi, vous avez lâché en cours de route, je pense que vous n’aurez pas de mal à raccrocher si vous avez regardé ne serait-ce qu’un peu de la première saison ; c’est bien choisi de la part des auteurs.

Et l’interactivité, alors ?

Et maintenant, la partie qui intéresse nos collègues auteurs le plus : l’interactivité. Quelle est la structure ? Les choix sont-ils pris en compte ?

Contrairement à « Bandersnatch », où vous pouviez avoir plusieurs fins possibles et traitées plus ou moins sur un pied d’égalité, le film a clairement une fin vers laquelle il tend, et de mauvaises fins. La fin de l’histoire, pour ce film, c’est le mariage de Kimmy avec son amoureux le prince anglais ; toutes les autres fins vous donnent une petite scène (souvent drôle, et souvent brisant le quatrième mur), puis le film rembobine jusqu’au moment précédent, où vous avez fait le mauvais choix. C’est donc une structure qui, pour reprendre la classification de Sam Kabo Ashwell, ressemble au tournoi, avec une mauvaise fin qui arrive directement si vous avez fait le mauvais choix.

Les auteurs de l’épisode ont récemment détaillé les fins et leur signification dans un article.

Je dis « ressemble à un tournoi » car il y a quelques choix qui ne sont pas des choix fermés (j’utilise ici la classification dont on a parlé dans cet article) : il y a quelques choix inévitables, et quelques choix en quelque sorte « à points » (si vous prenez la bonne option, on ne vous le dit pas tout de suite, mais ça vous permettra ou pas d’arriver à la fin optimale, celle où on vous dit « You Win! » à l’issue de la scène du mariage). Le fait d’avoir des choix inévitables (où l’issue est la même) est plutôt classique dans un film interactif (ça limite la quantité de pellicule à filmer), mais il n’y en a pas tant que ça ici, et comme c’est une série comique on a des choix sans importance mais qui débloquent des blagues différentes, et c’est clairement marqué comme tel. (Dans d’autres films interactifs on vous fait croire que c’est important pour ensuite vous remettre sur les rails ; ici, les choix inévitables ne sont pas sérieux.) Par contre, j’ai été un peu déçu de savoir qu’un des choix du début, que je pensais de type inévitable ou cosmétique, était en fait « à points », et m’aurait empêché d’avoir la fin optimale si je l’avais sélectionné ; ça m’étonnerait que beaucoup rejouent pour avoir la fin optimale, et tout ce que ça fait, c’est ajouter une scène de regret en mode « ah, si seulement j’avais choisi ça au début », ce qui frustre le joueur (qui n’avait aucun moyen de le savoir). On pouvait s’en passer, clairement.

Une petite image vaut mieux qu’un long discours (et puis c’est pour ça que vous êtes là, non ?), voici la structure du jeu – merci à grudginglyadmitted sur Reddit :

C’est bien que ça soit écrit en tout petit, ça évite le divulgâchage

Cela étant, on peut voir cet épisode et la structure du jeu comme transmettant un certain message. (C’est une analyse que j’ai vue ailleurs, et qui se tient.) Comme je l’ai dit, le jeu vous conduira à des fins abruptes si vous choisissez certaines options, et ce sont à plusieurs reprises des choix qui vont un peu contre la nature de Kimmy, cette force de positivité constante. Le film jouera le jeu et vous donnera votre scène de violence, mais ça sera une mauvaise fin ; sous entendu, c’est stérile, et ça n’est pas ce que Kimmy est ou veut être. Vu que la thématique de la série et de l’épisode est un peu « le mal existe, mais ne doit pas vous empêcher d’être bon », proposer ces choix sert une certaine fonction, j’imagine. Par contre, c’est pas du tout subtil — mais comme la série n’a jamais été subtile, je ne sais pas si on lui en voudra.

Bon, enfin, cette analyse est bien, mais elle se focalise sur les mauvais choix qui veulent dire quelque chose sur le personnage de Kimmy Schmidt. Il y a des mauvais choix clairement scandaleux, comme : « Qui appeler ? Voici 3 options. L’une vous mènera à une mauvaise fin ! » Ça fait juste un peu perdre de temps, mais comme toujours dans ce genre de situations, ça fait soupirer et ça refroidit (ça a bien fait baisser la motivation de la personne qui a regardé avec moi). Bref, les mauvaises fins imprévisibles et même pas drôles, on oublie et on transforme en un choix inévitable, hein ? Mais vous le saviez, non ?

Je voulais aussi mentionner un choix en particulier, qui m’a un peu agacé. (Je vais essayer de ne pas divulgâcher.) À un moment donné, vous avez 3 actions possibles. Une vous mène à une mauvaise fin (classique, bon, pff), et deux autres vous permettent de continuer. Sauf qu’en fait il n’y en a qu’un seul de bon, et vous ne le savez pas jusqu’à un point ultérieur, 45 minutes plus tard : si vous avez choisi la mauvaise option, vous vous retrouvez avec une situation où vous ne pouvez pas gagner. (Les gens qui ont joué à King’s Quest V ou à Hitchiker’s Guide to Galaxy ont des flashbacks traumatiques, là.) Cela ferait que le jeu serait noté « cruel » sur l’échelle de cruauté de Zarf… sauf que c’est contourné d’une façon intéressante. Si vous n’avez pas fait cette action, vous vous retrouvez à un point avec 2 choix qui vous mènent à une mauvaise fin. Après avoir vu ces deux mauvaises fins, le jeu vous dit « vous auriez dû faire ça il y a 45 minutes… mais je vais pas vous faire rembobiner jusqu’au début », et vous donne une scène supplémentaire où vous avez une autre opportunité de faire l’action en question, ce qui vous remet sur le droit chemin. C’est une façon intéressante de contourner ce souci… mais en même temps, on se demande un peu pourquoi avoir fait ça comme ça : à chaque fois qu’on me dit « hé bah non, il fallait faire ça il y a 45 minutes, vous pouviez pas le savoir mais en fait si », même si ça n’a pas de conséquence, personnellement ça me gonfle grave.

Je vais éviter de finir sur une mauvaise note : pour un film interactif, il a un parti pris clair au niveau de la structure qui n’est pas désagréable, et son ton est très réussi, ce qui n’en fait pas un mauvais film interactif du tout, malgré des frustrations qui viennent de choix de construction de l’arbre que je trouve évitables. Mais une des choses les plus intéressantes et agréables de ce film, c’est qu’il est juteux — et ça, j’adore ! Par exemple : vous avez 15 secondes pour faire votre choix, et pendant ces 15 secondes, le film ne s’arrête pas : les personnages papotent, ou parlent des options, mais on a l’impression qu’il continue, et les choix sont bien intégrés. Et si vous rembobinez à la suite d’une mauvaise fin, cette séquence de 15 secondes de papotage n’est pas la même ! L’équipe a donc filmé plusieurs conversations sans importance pour donner de la variation, et ça, c’est vraiment chouette. Également, apparemment (je n’ai pas testé), quand vous choisissez la même mauvaise fin plusieurs fois de suite, vous accédez à une séquence différente, façon easter egg. Tout cela contribue à vous donner envie de refaire certaines séquences pour le fun, ce qui, pour un épisode d’une série drôle, fun et positive, est une très bonne chose !