Lorsque l’on parle de choix dans une fiction interactive, on a parfois besoin d’être plus précis : est-ce que la décision du joueur est vraiment importante ? Ou juste cosmétique ? Comment les conséquences se répercutent-elles dans la logique du jeu ?

Gif « look at your life look at your choices ».

En répondant à ces questions et en explorant différents jeux, on voit apparaître plusieurs types de choix. Aujourd’hui je vous propose de découvrir, redécouvrir et finalement donner un nom à ces outils qui font la base d’une narration interactive !

Cet article est une traduction libre de « Make Good Choices: A Guide to Decisions in Videogames », un très bon article de Yoss III que je remercie pour son autorisation. 🙂

1 – Les choix cornéliens

Les choix cornéliens sont des décisions très importantes, comme vous l’aurez deviné ; chaque option a clairement des conséquences différentes sur la suite de l’histoire. Dois-je sauver ce personnage ou l’autre ? Rejoindre l’Empire ou les rebelles ?

On peut aussi les appeler choix de vie ou de mort. La mort n’est bien sûr pas un enjeu systématique, c’est simplement un exemple très parlant, car il n’y a pas de retour en arrière possible.

Illustration du dilemme du tramway.

Si vous vous souvenez de notre article sur les structures narratives, vous savez qu’une structure de type Time Cave contient exclusivement ce genre de choix, car chacune des options branchent immédiatement vers des événements et une fin différente.

Avantages

Les choix du joueur comptent, ce qui l’investit encore plus dans l’histoire. Parfaits pour créer de la tension et des dilemmes moraux, ces choix encouragent aussi la rejouabilité.

Inconvénients

Vous avez beaucoup plus de contenu à écrire, contenu que peu de joueurs verront. Mettre trop de choix de vie ou de mort peut également sembler artificiel, et vous risquez de perdre l’effet du dilemme. Enfin, ce n’est pas adapté à tous les types d’histoires !

2 – Les choix à points

Les choix à points peuvent avoir un effet sur le court terme (notamment via quelques lignes de dialogue), mais ils vont avoir principalement des conséquences plus tard dans l’histoire ; c’est en effet l’un des types de choix les plus simples pour faire du delayed branching.

Comment ça marche ? Selon la décision du joueur, un compteur (une variable en programmation) va augmenter ou diminuer. Plus tard, le jeu va pouvoir évaluer ce score pour diriger le joueur vers une scène ou une fin appropriée.

Gain de Karma dans le jeu Fallout.

Ce fonctionnement permet de représenter des conséquences de manière subtile ou graduée : il est notamment très utilisé dans les jeux de romance ou les RPG pour représenter des points d’affection avec un personnage ou une faction. On pourrait étendre les exemples aux statistiques du joueur dans les simulateurs de vie, les RPG ou les LDVELH (compétence, argent, karma, alignement…).

En fonction du type de jeu, il peut être attendu que ces compteurs soient explicites, parfois visibles dans l’interface. Que ce soit avant ou après le choix, il est courant de voir quel compteur a été affecté et de quelle manière (comme dans l’exemple de Fallout ci-dessus). 

Exemple

Dans le JRPG Skies of Arcadia, le joueur gagne de la réputation, le « taux bras-de-fer », s’il donne des réponses courageuses lors des dialogues. Ce taux change le surnom du personnage principal — allant par exemple de « Vyse le Couard » à « Vyse le Héros » —, permet de recruter certains personnages dans l’équipe et diminue même la fréquence des combats aléatoires (qui sont déjà bien nombreux).

Le premier chapitre de Katawa Shoujo est basé sur ce même principe, je vous invite à lire notre article sur la structure de ce jeu pour en savoir plus !

Avantages

Plus nuancé et subtil, le joueur a néanmoins toujours l’impression d’agir sur l’histoire. De mon expérience personnelle, c’est également un système très simple à mettre en place à petite échelle (avec une ou deux variables par exemple).

Inconvénients

Remplir l’écran de jauge et de compteur peut nuire à l’immersion, ou effacer le choix derrière ses conséquences (« Je vais aller du côté du mal parce qu’ils ont des armes cool », « Si je suis ami avec le marchand j’aurai de meilleurs prix »…). Mais si rien n’est indiqué, votre jeu risque d’être frustrant ou incompréhensible, car le joueur ne saura pas évaluer ses choix et leurs conséquences (c’est un équilibre qui dépend encore une fois de votre type de jeu et des attentes des joueurs). Le jeu peut être très dur à équilibrer sur de grands projets ou avec de nombreuses variables.

3 – Les choix cosmétiques (alias le « fluff »)

Ce sont des choix permettant au joueur de s’exprimer, de jouer roleplay ou de personnaliser son expérience, sans pour autant changer l’histoire. Ces choix incluent les choix d’apparence (littéralement cosmétiques, comme lors de la création/habillage d’un personnage), le choix du nom de l’avatar, ou lorsque deux options de dialogue mène de manière évidente aux mêmes conséquences.

Bien qu’étant la norme dans certains types de jeu (notamment destinés à un public jeune), ces choix sans conséquence ont mauvaise réputation chez certains joueurs. Ils peuvent pourtant être utiles pour renforcer l’immersion, renforcer la position active du joueur.

Exemple

En tant que président des États-Unis, au début de Saints Row IV, vous avez le choix entre arrêter la faim dans le monde et guérir le cancer à tout jamais. C’est un choix qui n’a vraiment aucune conséquence sur l’histoire, mais il renforce le jeu thématiquement (avec l’aspect comiquement excessif et « puissant » du dilemme) et a permis aux joueurs de débattre sur quel choix selon eux serait le plus souhaitable.

Capture d'écran de Saints Row IV, avec le dilemme.

Avantages

Ce sont des petits embranchements très faciles à mettre en place, et ils peuvent aider le joueur à s’investir dans l’histoire si utilisés correctement.

Inconvénients

Ces choix n’ajoutent pas vraiment à l’histoire, et certains joueurs les trouveront inutiles même s’ils sont bien faits.

4 – Les systèmes fermés

Un système fermé est une série de choix qui se répète jusqu’à ce que le joueur choisisse l’option qui va briser ce cycle.

Il peut être utilisé dans plusieurs contextes.

Dans un jeu avec un élément de gestion, le joueur va mettre en place une routine, une série d’actions qui vont activer un événement une fois un certain objectif atteint.

Dans un contexte d’exploration, cela peut être utile pour contrôler l’avancement du joueur : imaginez un lieu dans un jeu à parser où le joueur tourne en rond tant qu’il n’a pas répondu correctement à l’énigme ou trouvé le passage secret sous le tapis.

Un système fermé peut n’avoir qu’une seule solution, comme la réponse à une énigme ou un puzzle, ou plusieurs.

Image associée

Exemple

Dans Phoenix Wright, le témoin va continuer de témoigner jusqu’à ce que le joueur ait trouvé la preuve venant contredire ses propos.

Avantages

Offre une structure plus libre (paradoxalement), plus « jeu vidéo » si on peut dire.

Inconvénients

Peut-être difficile à intégrer dans une grande histoire et compliqué à écrire.

5 – Les choix chronologiques

On parle de choix chronologique lorsque l’histoire se divise en plusieurs séquences et que le joueur décide dans quel ordre les voir.

Capture d'écran d'Along The Edge.

Ces choix peuvent représenter l’exploration d’un lieu (explorer la scène de crime en premier ou la maison du défunt) ou une discussion, un interrogatoire (« Quel est votre alibi ? » ou « Connaissiez-vous la victime ? »). La différence avec d’autres types de choix c’est le joueur doit choisir chacune (ou en tous cas certaines) des options pour pouvoir progresser dans l’histoire : le joueur choisit juste l’ordre, la « chronologie ».

Les joueurs voulant voir tout le contenu peuvent être rebutés par ce type de choix, car ils ne savent pas toujours quel choix va faire avancer l’histoire avant d’avoir testé toutes les options. Préférez par exemple « Que voulez-vous faire en premier ? » plutôt que « Que voulez-vous faire? », afin de clarifier au joueur qu’il ne choisit que l’ordre.

Exemple

Dans Along The Edge, vous explorez votre nouvelle demeure via une série de choix chronologiques (voir l’illustration ci-dessus).

Avantages

Facile à implanter, c’est un type de choix parfait pour une scène d’exposition.

Inconvénients

Pas toujours très intéressant (surtout s’il y a beaucoup de séquences différentes). Peut être ennuyant pour les joueurs ne voulant rien ratez si la nature de la scène n’est pas claire.

6 – Les choix inévitables

Un choix inévitable a toujours plusieurs propositions, mais une seule aura de conséquences; Les autres redirigent le joueur vers la bonne réponse ou le force à la choisir. Par exemple, on nous demande de sauver le monde et on a le choix de répondre par oui ou par non. Si on accepte, l’histoire progresse ; si on refuse, on nous repose la question (« Tu es sûr ? ») ou l’histoire s’arrange pour que le personnage joueur accepte malgré tout (« Bon bah si ça peut dépanner… »).

Gif : "Are you sure?"

Ces choix ne sont pas très populaires, et pour cause ils créent par définition de la frustration. Mais ils peuvent justement être utilisés pour cette raison : aller dans le sens de l’histoire donne l’impression de contrôle pour le joueur, alors que ne pas réussir à en sortir (ne pas pouvoir dire non à la quête) provoque l’effet inverse. Même s’il est frustrant c’est un outil qui peut renforcer le message de certaines histoires, pour signifier par exemple une destinée, un manque de contrôle (dans un régime totalitaire par exemple).

Une manière possible de rendre ces choix moins frustrants est de récompenser le joueur avec une blague ou une réplique sympathique s’il a choisi la « mauvaise » option.

Avantages

Très facile à mettre en place. Peut être utilisé pour ajouter de l’humour ou de la caractérisation supplémentaire.

Inconvénients

Crée de la frustration, et il est très facile de mal utiliser cet outil.

7 – Les non-choix

Ça ressemble à un choix, c’est présenté comme un choix, mais ça n’en est pas un. Peut-être que c’est un menu avec un seul bouton ou une pièce où une seule action est possible.

Comme pour les choix inévitables, il est possible de l’utiliser pour montrer une destinée, que le joueur n’a littéralement pas le choix. Il permet aussi de mettre en avant un événement qui sera plus impactant pour le joueur : c’est lui qui fait l’action au lieu de regarder son personnage la faire.

Exemple :

Capture d'écran d'Ocarina of Time.

La toute première action du joueur dans The Legend of Zelda : Ocarina of Time est de se lever du lit ; il n’y a pas d’autres options, et le jeu n’avancera pas tant qu’un bouton n’est pas pressé. C’est une action qui aurait très bien pu être communiquée via une cinématique mais, en laissant le contrôle au joueur, le départ à l’aventure gagne beaucoup en impact.

La fin de Emily is Away (attention spoiler) est techniquement un système fermé, mais est finalement un non-choix (vous suivez j’espère !).

Avantages

Il n’y a littéralement rien de plus à écrire, et ce type de choix peut surprendre les attentes du joueur.

Inconvénients

Dois être utilisé avec discernement, car c’est un choix très peu engageant pour le joueur.

Bonus – Les choix conditionnels

Les choix conditionnels sont des choix qui ajoutent ou retirent d’autres choix plus tard dans l’histoire. Il peuvent se présenter sous différentes formes : choisir une classe de personnage au début du jeu, avoir un objet ou non dans son inventaire, être ami avec un personnage, avoir terminé le jeu au moins une fois…

Les choix qui ne sont pas disponibles peuvent être grisés ou simplement invisibles ; le premier cas a le mérite d’être clair pour le joueur, mais peut aussi frustrer s’il ne sait pas quelle condition était nécessaire en amont.

Exemple

Capture d'écran de Katawa Shoujo.

La route de Rin dans Katawa Shoujo est largement basée sur ce principe, à tel point qu’il y a plus d’une centaine de façons de terminer son histoire (on m’a parlé de près de 600 variations possibles, mais je n’ai pas pu vérifier moi-même ; je ne m’engagerai donc que sur l’estimation basse).

Avantages

Permet de créer des situations complexes, plus organiques, et augmente la rejouabilité.

Inconvénients

Demande plus de travail et d’organisation pour répondre aux différents cas de figure.

Conclusion

J’espère que cette liste vous aura inspiré et peut-être fait découvrir certaines structures auxquelles vous n’auriez pas pensé !

Une chose à retenir cependant, c’est que tous ces choix ne sont que des outils ; vous pouvez très bien créer une histoire impactante avec des choix simples, comme une histoire ennuyante avec des choix et des systèmes recherchés. À vous de choisir les choix qui vont avec votre histoire !

Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout, à bientôt sur Fiction-interactive.fr !