Précautions préalables
Cet article cite des propos racistes et haineux qui sont évoqués dans une démarche critique, l’auteur les dénonce et ne les partage absolument pas.
Introduction
Depuis plus d’une dizaine d’années, les jeux vidéos, mais également les films, les séries, les livres, décentrent leurs intrigues des figures de héros classiques, qui ont longtemps été des hommes blancs et virils, et privilégient plus de diversité de genre, d’origine ethnique et de classe sociale. Parfois c’est fait de manière maladroite, et dans certains cas on peut douter de la sincérité de telle ou telle grosse production lorsqu’elle propose un nouveau contenu en utilisant cette caution d’inclusivité comme argument marketing – c’est ce qu’on appelle le pinkwashing.
La tendance progressiste (ou « woke » comme la qualifient ses adversaires) provoque nombre de réactions au sein du milieu du jeu. Elle serait « hégémonique ». À écouter ses détracteurs, tous les jeux seraient à présent “gangrénés par la gauche intersectionnelle » qui ruinerait leurs expériences vidéoludiques (« attacking things that people love ») en rendant jouables des femmes dans FIFA, en incluant un personnage transgenre dans The Last of Us 2, ou pire encore en ajoutant des toilettes mixtes dans le remake de Dead Space.
La fiction interactive serait également concernée, voire même morte et enterrée :
La plateforme itch.io, sur laquelle sont hébergées de nombreuses FI, n’est pas exempte de ces débats, ci-joint un exemple au sujet de l’utilisation de l’écriture inclusive :
Nous reviendrons sur la révolution Twine et sur ce que le milieu queer a apporté en terme d’expérimentation et de souffle au genre de la fiction interactive dans un prochain article, mais avant ça, je me suis demandé s’il existait des productions émanant du camp politique opposé, c’est-à-dire explicitement d’extrême droite dans le monde de la fiction interactive.
Il peut s’agir d’un spectre relativement large, mais pour résumer, j’évoquerai les jeux dont les fondements idéologiques reposent sur :
- Le rejet de l’immigration, voire la xénophobie
- Une vision autoritaire de la politique intérieure
- Une rhétorique anti-système et hostile aux partis politiques traditionnels, aux médias mainstream
- Une tendance au conspirationnisme, et/ou une lecture révisionniste de l’histoire
J’ai trouvé une liste de recommandation de jeux d’un groupe Steam nommé “Right Wing Games1” qui résume avec leurs propres mots ce système de valeur :
– « Grande variété de factions de droite à rejoindre à la fin du jeu – corporations, conservateurs religieux, extrémistes nihilistes. »
« Moments de jeu politique »
On ne peut pas s’aventurer dans des contrées aussi nauséabondes sans être un minimum équipé. J’ai commencé par lire la thèse de Noel Brett, doctorant au département d’informatique de l’Université McMaster, qui développe le terme de “moment de jeu politique” (moments of political gameplay) dans un article intitulé “Le Game Design comme outil de mobilisation pour des actions d’extrême-droite.2”
« Je propose le concept de moments de jeu politique pour mettre en évidence la façon dont les jeux et les utilisateurs se rencontrent, se transforment mutuellement de manière à produire des résultats politiques. (…). Les éléments politiques sont capables de participer à cette relation soit par la conception du jeu (défis de jeu marqués politiquement), soit par le joueur (actions politiquement chargées) via la position politique du joueur.(…) En d’autres termes, lorsque nous repérons un moment de jeu politique, nous repérons la coagulation des relations entre le jeu, le joueur et la politique. »
Il analyse le gameplay de Angry Goy II, un jeu ouvertement raciste, dans lequel on incarne des membres réels ou mythologiques de l’alt-right (comme George Lincoln Rockwell, fondateur du parti nazi américain, Moon Man, une parodie non officielle de la mascotte de McDonald’s des années 1980, ou encore tout simplement, Adolf Hitler). Dans un shooter en vue isométrique grandement inspiré du gameplay de Hotline Miami, on y pratique des tueries de masse en tirant sur des PNJ’s communistes, gays, juifs, ou membres du mouvement Black Lives Matter.
Christopher Charles Cantwell également connu sous le nom de “Crying Nazi”, est un suprémaciste blanc, néo-nazi et conspirationniste antisémite américain (ça fait beaucoup hein.). Il a soutenu et a participé à la visibilité du jeu à sa sortie : “À défaut de vous défouler sur des êtres humains, vous pouvez combattre les bâtards et les dégénérés sur votre ordinateur !”
Dans Angry Goy II, le joueur ne peut pas marcher dans la rue sans être agressé physiquement et verbalement par des antagonistes. Il est qualifié de « merde hétérosexuelle cisgenre » par des militants LGBTQ brandissant des drapeaux arc-en-ciel ou de « mâle blanc » par un groupe de féministes, les ennemis rencontrés tout au long du jeu attribuent systématiquement des qualités amorales au personnage du joueur, créant un sentiment de violence subie et de victimisation.
Le personnage du joueur est d’ailleurs toujours un protagoniste « silencieux » – les mécanismes du jeu font qu’il est impossible de s’exprimer ou d’intervenir contre ces accusations. Bien que cela soit probablement involontaire, cela crée une rhétorique procédurale intéressante qui établit que prendre la défense des hommes blancs est inacceptable et anormal, jouant ainsi sur le trope classique du racisme « inversé » populaire parmi les groupes radicaux de l’extrême droite. La seule solution qui s’impose au joueur, par les limites du gameplay mais aussi par le storytelling induit par le jeu, c’est de prendre les armes pour se défendre. Durant l’expérience de jeu, c’est le gameplay, l’esthétique et le contenu de Angry Goy II qui exercent une influence politique sur le joueur.
À l’inverse, c’est parfois le joueur qui exerce une pression politique plus grande que le jeu ne le permet initialement. Red Dead Redemption II permet une grande liberté d’action que certains joueurs d’extrême droite ont utilisé pour recréer de la violence raciale et misogyne3, amenant inévitablement certaines pratiques politiques dans le monde du jeu.
On retrouve sur YouTube nombre de vidéos portant des titres comme “une féministe pénible donnée en pâture aux alligators”, “joueur ligotant une suffragette juste avant de la brûler” ou encore “joueur apportant un noir à un rassemblement du KKK”. Le jeu a souvent du mal à suivre les actions du joueur. Cela se manifeste par des moments « irréalistes » : la suffragette agit comme si elle n’avait jamais été attaquée, les membres du KKK ignorent le joueur… Pour autant, le joueur peut toujours guider le jeu vers la violence politique d’autres manières, par exemple en tirant ou en torturant des cibles spécifiques comme des femmes ou des personnes racisées. Dans ce cas, le moment du jeu politique – le moment où le joueur et le jeu produisent ensemble une action d’extrême droite – est rendu possible par des affordances de conception qui permettent au jeu de s’adapter aux entrées du joueur, et de renvoyer au joueur de nouveaux défis de jeu politiquement encodés.
What about IF ?
Bon, comme on l’a vu dans l’article précédent au sujet des partis politiques dans les jeux vidéos, le média principal de l’extrême droite reste majoritairement celui des jeux de tir, pour n’en citer qu’une poignée : Alex Jones Games – NWO Wars, dans laquelle le personnage d’Alex Jones (célèbre animateur radio américain d’extrême droite, d’alt-right et un théoricien du complot, grand supporter de Trump) affronte le nouvel ordre mondial (new world order), c’est à dire contre les médias qui diffusent les fake news, le lobby LGBT, les candidats du Parti Démocrate qui capturent des bébés pour boire leur sang, Ethnic Cleansing dont le résumé est sans ambiguïté : “La guerre des races a commencé. Votre peau est votre uniforme dans cette bataille pour la survie de votre espèce. La race blanche dépend de vous pour assurer son existence. Les ennemis de votre peuple vous entourent dans une mer de pourriture et de saleté qu’ils ont apportée à votre nation autrefois propre et blanche.”, ou encore White Law : Kapital City dans lequel on incarne un policier blanc qui tire à vue sur des minorités. KZ Manager Millenium est une exception puisqu’il s’agit d’un jeu de simulation qui propose de gérer un camp de concentration à l’instar d’un RollerCoaster Tycoon.
J’ai d’abord cherché des fictions interactives du côté du site IFDB (Interactive Fiction Data Base), et je suis tombé sur Burn the Koran and Die4. Affichant une note de 1,5/5 avec 19 votants, il s’agit d’un parser court dans lequel un étudiant décide de brûler des livres considérés comme « sacrés » pour voir la réaction que cela suscitera dans le campus. On ne peut pas lire les livres, on ne peut pas discuter avec qui que ce soit, l’auteur n’attend qu’une chose : qu’on brûle des livres sacrés. Lorsqu’on détruit la Torah, ou la Bible, les réactions des gens qui nous entourent sont globalement mesurées, à l’exception d’un groupe d’étudiants musulmans qui nous encourage. Mais lorsqu’on brûle le coran, on est arrêté violemment par la sécurité du campus qui est vite dépassée par une émeute d’étudiants musulmans dont certains sont équipés de ceinture d’explosifs, jusqu’à ce que finalement l’un d’entre eux nous achève à coups de machette en criant « allah ahkbar », nous laissant agoniser sur un parking en regardant flotter le drapeau américain au dessus de nous.
Bien que l’auteur précise que son jeu est une satire, on a du mal à avoir matière à réflexion. Ses autres jeux, bien que globalement mal notés à cause d’une programmation maladroite ou incomplète, n’évoquent plus de sujets aussi sensibles, on reste donc dubitatifs quand à ses positions politiques réelles.
Westernkind Games – » L’outil pour vaincre et réparer les dégâts de l’antiblanchisme est entre vos mains«
Mais en cherchant un peu mieux, j’ai pu trouver des fictions interactives plus insidieuses, et ouvertement liées au mouvement de l’alt-right. Une partie d’entre elles sont hébergées sur le site de Westernkind Games, dont voici la présentation : Westernkind Games crée des jeux qui ne contiennent pas de propagande anti-blancs. S’il doit y avoir de la propagande dans nos jeux, elle sera positive pour les Blancs.
J’ai donc enfilé ma combinaison Hazmat, et pour vous, je suis allé plus loin dans cet univers white-positive. Dès la première page, on est renvoyé vers un lien Amazon, qui nous invite à acheter un livre nommé “Go Free” écrit par Jason Köhne, un écrivain suprémaciste blanc.
« Les Blancs sont privilégiés ; la discrimination à l’encontre d’un Blanc sert à réparer l’injustice. Les Blancs ont commis des fautes historiques à l’égard d’autres personnes ; les Blancs sont nés avec une dette historique.
Cela vous semble familier ? Dans Go Free, nous appelons ces idées anti-blancs des Mèmes-Pathogènes (MP), parce qu’elles infectent l’esprit comme un virus. Ce livre vous prouvera que votre subconscient est plus infecté que vous ne le pensez. Grâce à des exercices et des techniques simples, vous apprendrez à identifier consciemment les MP en vous et dans votre environnement, et à surmonter leurs effets néfastes. Comme nous pensons avec des mots, ce livre propose un langage précisément construit, testé et expliqué pour se réapproprier notre esprit. (…) Imaginez que vous emportez les débats contre les anti-blancs en étant le héros de notre histoire, et non le méchant de la leur. L’outil pour vaincre et réparer les dégâts de l’antiblanchisme est entre vos mains.”
Le décor est établi, et l’ambition du site est sans ambiguïté : proposer des quiz et des jeux afin de s’entraîner à identifier des éléments de langages anti-blancs, et d’y opposer la dialectique du livre “Go Free”.
Les jeux sont sobres, ils rappellent l’esthétique de Twine, et se basent sur le moteur de jeu Yarn Spinner, dont l’interface kids friendly dénote avec les enjeux politiques proposés par Westernkind Games.
La fiction interactive centrale, dont le site revendique la paternité s’appelle “Hiking Story”, qui est présentée comme un work in progress (mais qui semble n’avoir reçu que très peu d’implémentation depuis son écriture en 2021). On y incarne un homme blanc qui porte un t-shirt “No White Guilt” et qui se fait invectiver par deux antifas alors qu’il marche tranquillement le long d’un chemin de randonnée.
Le gars : J’en ai marre des gens.
Fille : Je vois ce que tu veux dire.
Le gars : J’aimerais qu’on puisse se débarrasser de tous les fascistes.
Fille : Je déteste les fascistes ! Ce sont tous des racistes !
C’est à ce moment-là que les deux hommes apparaissent. L’un d’eux est un petit homme allongé avec des piercings et l’autre une grande femme aux cheveux verts coupés court. Alors que vous vous approchez, ils regardent votre t-shirt « No White Guilt » d’un air critique.
Vous répondez :
– Bonjour ! C’est une belle journée pour une randonnée.
– Bonjour.
– Oh, non. Vous ne manquez pas une réunion antifa ou quelque chose comme ça ?
On peut choisir de ne pas se défendre et de rentrer chez soi, ce qui conduit le personnage à se sentir humilié, on peut tenter de les raisonner, mais nos interlocuteurs refusent d’écouter nos arguments, enfin, on a la possibilité de les frapper, puis de reprendre notre balade, ce qui nous emmène à l’épilogue suivant :
“Plus tard dans la journée, lorsque vous regagnez votre voiture, vous constatez que le mot « nazi » a été gravé en grosses lettres sur la portière côté conducteur. Vous regardez autour de vous et vous constatez qu’il n’y a personne d’autre et aucune autre voiture.
Alors que vous vous engagez sur l’autoroute, une voiture de police sort de sa cachette, gyrophares allumés, et vous demande de vous ranger sur le côté.
Vous obtempérez et deux policières non blanches sortent de la voiture de police. Elles sortent leurs armes et commencent à vous crier de sortir de la voiture et de vous mettre à terre. Vous sortez et vous vous mettez à terre. Les deux policières s’approchent de vous, armes pointées sur vous, et l’une d’eux vous passe les menottes. Elles vous ramènent à leur voiture et vous emmènent en prison.”
Deux autres jeux sont disponibles, dans l’onglet “User Submission”, il s’agirait donc de contributions extérieures.
Salesman est proposé par l’utilisateur ForNull (qui est le nom d’un groupe de musique présenté par le site metal archive comme ayant pour thème la science fiction, le white nationalisme, et le racisme). Un représentant commercial latino-américain sonne à notre porte. Il insiste pour rentrer dans notre maison. On peut refuser de lui ouvrir, ce qui conduit celui-ci à devenir très agressif. On peut appeler la police, mais celle-ci est trop occupée pour nous aider, et l’homme fait les cent pas devant notre maison, en nous promettant de ne pas en rester là.
Qu’on hésite ou qu’on accepte de lui ouvrir la porte, il entre un couteau à la main, dans le but de nous cambrioler. Si l’on reste non-violent, il nous ordonne carrément de quitter les lieux pendant qu’il dépouille la maison, et qu’on le regarde impuissant charger nos possessions dans un gros SUV noir. Il nous frappe même au visage avant de voler notre portable et notre portefeuille. On peut tenter de se défendre à mains nues, ce qui conduit à mourir poignardé, ou parvenir à le désarmer en l’assommant, mais la police viendra sonner à notre porte, car l’homme se plaindra d’avoir été attaqué et subi des insultes racistes.
La dernière option est d’utiliser un fusil à pompe, qui conduit à cet épilogue :
Six mois se sont écoulés depuis que vous avez été accusé de meurtre. Vous êtes maintenant en prison avec une peine de 300 ans et aucune chance de libération conditionnelle. Vous auriez dû savoir que l’État de droit ne s’applique plus et que le fait d’être blanc est considéré comme un crime. Ajoutez à cela le meurtre d’un jeune rappeur en herbe et vous n’avez plus aucun espoir face au système qui sert la destruction de votre peuple.
Enfin SkyKing a été rédigé par Slaughtz, très actif en 2021 sur le forum PeakD.com, écrivant de nombreux posts comme “Le mythe le plus répandu et le plus grave des temps modernes est que l’effacement des Blancs est un « progrès ». Il infecte les esprits de toutes les tendances politiques, même ceux qui sont dans le déni. C’est la théorie la plus antiblanche des porcs antiblancs.”
Ce jeu est bien plus linéaire que les deux autres, puisqu’il ne propose aucun choix. À l’aéroport on aperçoit un brave citoyen américain qui se lève tôt pour travailler, probablement en tant que technicien sur les pistes d’atterrissage. On croise sa route plusieurs fois dans le récit, et on est sûr que c’est un chic type, avec le cœur sur la main. En chemin vers le boulot, une émission de radio évoque le manque de diversité dans certains métiers, et le projet de recruter plus de non-blancs dans l’industrie aérienne. Quelques jours plus tard, on entend parler de Richard Russel à la télévision, on voit sa photo et on reconnaît le mec de l’aéroport. Il a volé un avion, l’a piloté et fait quelques loopings, puis a fini par s’écraser. Le jeu se termine sur une chanson country et une dédicace « à la mémoire de Richard Russel, le Roi du Ciel ».
Au sujet de Richard Russel
L’histoire de Richard Russel est réelle. Le 10 août 2018, il monte à bord d’un Bombardier Q400, parvient à le faire décoller, et après 73 minutes de vol et plusieurs loopings, écrase l’avion sur l’île Ketron, dans la baie de Seattle. Tout le monde s’interroge sur la raison de son geste, et sa discussion quasi ininterrompue avec la tour de contrôle est enregistrée et passée au crible par les enquêteurs, qui ne parviennent pas à définir de raisons claires à son acte.
Dans un post écrit quelques mois avant sa mort, Russel évoque la difficulté de son travail, lui qui avait été un temps boulanger et qui aurait aimé faire une carrière militaire :
Je n’aurais jamais pensé travailler en tant qu’opérateur au sol. C’est un boulot misérable et je ne comprends même pas pourquoi quelqu’un voudrait volontairement subir le bruit permanent, les gaz d’échappement, les charges lourdes… Je voudrais dédier ce blog à la vie d’un « rampant » et mettre en lumière le contraste incroyable entre notre boulot et les destinations paradisiaques.
L’entreprise qui l’employait, SeaTac, sous-traitait certaines de ses missions à Horizon – notamment celles d’opérateurs au sol et de bagagistes, ce qui permettait de les payer moins cher que n’importe quels autres employés de l’aéroport. Un ancien collègue de Russel, qui a démissionné depuis, témoigne :
Nous étions exploités et très mal payés. On me parle de culture d’entreprise, mais s’il y avait un mot ou deux pour décrire celle d’Horizon, ce serait « dysfonctionnelle » et « toxique ».
Dans ses derniers échanges avec la tour de contrôle, il parle des salaires qu’il juge trop bas, et il espère que son geste permettra au moins que ces revendications soient entendues par les dirigeants de l’entreprise.
Sa famille quant à elle évoque de nombreux traumatismes crâniens durant sa carrière de footballeur, qui auraient pu conduire à une encéphalopathie traumatique chronique (ETC), ce qui peut entraîner dépression, décisions impulsives et idées suicidaires.
La bataille culturelle
En somme, les motivations qui sont induites par Slaughtz afin d’expliquer son geste (une réaction désespérée face à une politique discriminatoire en la défaveur des employés blancs) instrumentalisent son suicide dans un but qu’on devine sans difficulté.
Ce qui est intéressant dans ces 3 jeux, et finalement ce que réussissent à faire les auteurs de ces fictions interactives, c’est qu’à travers cet éventail d’épilogues dramatiques on ressent une certaine forme d’impuissance puisque quels que soient nos choix, le jeu nous propose une issue insatisfaisante ou tragique. Ce que ces récits affirment en somme, en écho à Angry Goy II c’est que :
- Le monde est hostile et dangereux, et on peut se faire agresser n’importe où, jusque chez soi
- La police ne peut ou ne veut plus défendre une partie de la population
- Les blancs subissent une discrimination systémique
- La parole des blancs n’est pas écoutée ou pas considérée comme légitime
- Lorsqu’ils se défendent, ils subissent une répression sévère et injuste.
Il devient de plus en plus courant que les suprémacistes blancs tentent de recruter par l’intermédiaire du jeu vidéo5. Les ados sont une cible de choix et des centaines d’entre eux sont approchés quotidiennement par l’intermédiaire des jeux en ligne Minecraft ou Roblox, ou directement via des plateformes comme Steam ou Discord.6
Dans ce cadre, le jeu se comprend comme un outil métapolitique au service de l’idéologie de la nouvelle droite. Le concept de métapolitique a été élaboré par de Benoist et la Nouvelle Droite française, soutenant que le pouvoir politique est légitimé par un cadre éthique façonné par la culture spécifique d’un groupe. Pour changer le paysage politique, il faut d’abord gagner une bataille culturelle en transformant les valeurs, l’éthique et les normes communément admises, ainsi que leurs expressions dans la sphère publique, de manière à créer une hégémonie fondée sur sa propre perspective idéologique.
Si la bataille culturelle fait rage, il existe certaines FI dont le camp est ambigu.
C’est le cas du jeu intitulé Mein Waifu is the Führer – a parody Visual Novel7, qui a débloqué 87 659 $ de fonds sur 8000 visés initialement, dont voici le synopsis :
« Erwin Rommel vient de recevoir la mission de sa vie : il dirige l’invasion de la Pologne dans le cadre de l’opération Polandfeldzug. Malheureusement, son monde est bouleversé lorsqu’un complot visant à renverser le gouvernement allemand, mené par l’Oberstleutnant Claus von Stauffenberg, entraîne la mort de l’ensemble du haut commandement allemand. Sans se décourager, Rommel retourne à Berlin pour empêcher une guerre civile et découvre que le Führer, ainsi que le reste du haut commandement, ne sont pas morts, mais seulement… transformés en personnages d’animés. »
Le studio DEVGRU-P affirme être un studio inclusif et opposé aux idées défendues par le nazisme. Le jeu (encore en cours de développement) se basera sur une mécanique de dating simulator comme il en existe des milliers : faire les bons choix de dialogue pour débloquer des scènes érotiques, mais les personnages que l’on rencontrera seront tous des membres historiques du parti nazi.
La « waifuification » d’idéaux nazis entraîne inéluctablement une forme de banalisation, voir rend le personnage d’Hitler sympathique.
À titre de comparaison, la marionnette représentant Jacques Chirac dans les Guignols de l’info en France avait été créée pour caricaturer, voire critiquer les positions du personnage politique, mais en insistant sur son humour et sa bonhomie plutôt que sur les scandales politiques auxquels il était mêlé, il a été rendu plus sympathique aux yeux du public qui pu s’identifier à lui. La marionnette a influencé favorablement l’opinion au sujet du personnage réel, l’ancien président reconnaissant lui-même que cela avait certainement contribué à son élection lors des présidentielles de 1995.
« Jouer juste pour rire »
Revenons à la thèse de Noel Brett, notamment à sa conclusion qui synthétise d’une manière assez juste les éléments que j’ai mis en lumière précédemment :
(…) Il est indéniable que le joueur est transformé par son interaction avec le jeu, quelle que soit sa position sur l’échiquier politique. S’il jouait au jeu « juste pour rire », par exemple, ou parce qu’il était curieux d’en savoir plus sur l’extrême droite, il quitterait le jeu avec une connaissance beaucoup plus approfondie de l’idéologie et des symboles de l’extrême droite, de ses ennemis, etc.”
“Les joueurs concrétisent leur propre identité politique en participant à des jeux politiques et, parfois, s’impliquent plus tard dans des réseaux politiques plus vastes tels que #Gamergate , la manosphère, les proudboys, QAnon, etc. Repérer et disséquer les moments de jeu politique dans ces contextes pourrait permettre de mettre au jour les liens relationnels entre le jeu, d’autres plateformes et les sous-cultures d’extrême droite. »
Heureusement, et grâce au travail de militants, d’artistes, de créateurs de jeux, les thèses et les méthodes des groupes d’extrême droite sont sans cesse mises à mal, et je conseillerais de jouer à https://farfewgiants.itch.io/night-fisherman ainsi qu’à https://farfewgiants.itch.io/the-outcast-lovers, deux fictions interactives qui évoquent la question de l’immigration et de l’extrême-droite avec justesse et poésie.
- Right Wing Games – Steam Curator ↩︎
- (PDF) Moments of Political Gameplay: Game Design as a Mobilization Tool for Far-Right Action ↩︎
- https://www.huffingtonpost.co.uk/entry/red-dead-redemption-2-players-criticised-over-violence-towards-suffragette-character_uk_5be2b33ce4b0769d24c7337d ↩︎
- Burn the Koran and Die – Details ↩︎
- https://amp.theguardian.com/world/2021/feb/14/how-far-right-uses-video-games-techlure-radicalise-teenage-recruits-white-supremacists ↩︎
- https://www.wired.co.uk/article/steam-discord-far-right ↩︎
- https://www.kickstarter.com/projects/1930242464/mein-waifu-is-the-fuhrer-a-parody-visual-novel/ ↩︎
2 Pings