Je regardais la liste des présentations du dernier Narrascope pour voir celles qui pourraient m’intéresser, et je suis tombé sur « Choosing Your Happily Ever After » de Rebecca Slitt. La question posée : comment, dans une fiction interactive de romance, donner au joueur de véritables choix avec de véritables enjeux, tout en lui garantissant toujours la fin heureuse ?
Je me suis dit que ça pouvait être intéressant, puisque ça sortait de ma zone de confort, et qu’on n’a pas vraiment de fictions interactives avec de la romance dans notre communauté. (Si la romance n’est pas vraiment votre truc, je pense qu’il y a quand même des choses utiles à tirer de la présentation.)
Rebecca Slitt est relectrice-correctrice chez Choice of Games et Heart’s Choice, a écrit 2 œuvres pour Choice of Games et en a corrigé plus de 20. Voyons ce qu’elle a à dire.
(La présentation originale en anglais est disponible sur YouTube, si vous comprenez déjà l’anglais ou vous voulez avoir accès aux diapos.)
Le problème
Les gens lisent des romances parce qu’ils savent ce qui va arriver : les personnages vont finir ensemble. Mais les gens jouent à des fictions interactives parce qu’il ne savent pas ce qui va arriver, les choix ayant des conséquences. Comment alors tenir ces deux promesses opposées ? Rebecca Slitt répond par :
- Des objectifs secondaires ;
- La possibilité de choisir entre plusieurs intérêts romantiques ;
- La possibilité d’exprimer ses émotions ;
- Toujours demander le consentement.
Rapide rappel du fonctionnement des FI Choice of Games
Elle commence cependant par montrer les principes des FI Choice of Games : du texte, suivi de plusieurs options qui vont modifier des statistiques. Pour éviter de se retrouver avec une énorme quantité d’embranchements différents, une structure en sablier (aussi appelée goulot d’étranglement) est utilisée : ces embranchements finissent toujours par se rejoindre avant que l’histoire se ramifie de nouveau.
Des variations sont ensuite offertes en fonction des statistiques : faire beaucoup de choix augmentant ma force va me permettre de réussir une action plus tard, par exemple. C’est ce que Choice of Games appelle le delayed branching.
Le but est donc d’utiliser ces techniques tout en garantissant la fin heureuse.
Des objectifs secondaires
Les FI Heart’s Choice demandent au début de choisir quel sera le personnage avec qui on veut vivre heureux jusqu’à la fin des temps. Et c’est garanti que c’est ce qui va se passer ; c’est pour ça qu’on lit de la romance.
Mais il faut garder l’incertitude et les enjeux propres aux fictions interactives. Pour cela, des objectifs secondaires sont offerts. On ne peut pas tous les atteindre dans une partie (parce qu’ils sont contradictoires, parce qu’il n’est pas possible d’augmenter toutes les stats requises simultanément…), et on peut même tout rater. Il reste que, dans tous les cas, la personne qu’on avait choisie au début sera avec nous et la fin sera quand même heureuse. Cela permet de garder de la tension et des enjeux même si cette fin est prédéterminée.
Le choix de l’intérêt romantique
Comme mentionné plus haut, les FI Heart’s Choice offrent la possibilité de choisir avec quel personnage on veut rester à la fin. C’est une façon simple d’offrir de l’interaction. Chacun de ces personnages aura un histoire ou une personnalité différente, ce qui va changer la texture du reste de la partie.
En plus de cela, on peut parfois aussi choisir le genre du personnage (bien évidemment), mais aussi son passé. Je l’ai connu auparavant, mais il m’a abandonné ? Ou alors c’est l’inverse, c’est moi qui n’étais pas là pour lui ? Cela permet d’avoir des variations dans l’histoire.
Exprimer ses émotions
Des choix sont aussi offerts à certains moments précis pour donner l’occasion d’exprimer ses émotions. Cela permet de se sentir davantage connecté à son personnage et d’avoir plus d’immersion dans l’histoire. Est-ce que je me montre suspicieux, ou fais au contraire entièrement confiance ? Mécaniquement, cela permet de faire varier des statistiques ; narrativement, cela permet au joueur de se mettre dans la peau de son personnage, de le personnaliser.
Il ne faut pas abuser de ce genre de choix, cependant, car cela deviendrait répétitif. Le mieux est de les réserver à des points majeurs ou importants narrativement. On ne veut pas que le joueur, à un moment d’émotion intense, se dise que ça n’est pas cela qu’il souhaite ressentir, on ne veut pas forcer les émotions que ressent son personnage.
Le consentement
Le consentement du joueur est également demandé pour tous les aspects de la romance. On ne veut jamais enlever la possibilité de dire non ; on doit toujours lui offrir la possibilité de dire oui. Cela pose quelques défis pour ce qui est de l’écriture.
L’histoire est à la seconde personne, et on ne dicte pas ce que le joueur ressent, alors il faut décrire à quel point un personnage est séduisant, mais pas dire que le joueur est attiré par lui. Cela passe par des descriptions du physique, ou on peut bien sûr donner le choix au joueur. Je dois pouvoir répondre oui, non, et aussi que je ne sais pas encore, je préfère attendre d’avoir plus d’informations. Le jeu respecte toujours ces décisions. Si j’ai dit oui, alors j’obtiendrai des descriptions plus vives. Si j’ai dit non, l’autre personnage accepte la décision et ça s’arrête là.
C’est important notamment quand on choisit le niveau d’intimité : je peux décider d’embrasser l’autre personnage.
Enfin, le consentement n’est pas acquis. Si j’ai dit oui au début du jeu, ça ne signifie pas forcément que je dirai oui à la fin. Ce qui compte, c’est que la fiction interactive respecte toujours mon choix.
Conclusion
Cela donne un aperçu de la formule Heart’s Choice/Choice of Games pour les romances, et c’est ce qui fonctionne pour eux. Je pense par exemple que ça marcherait moins bien quand le personnage-joueur est prédéfini. (Les Choice of Games proposent toujours un personnage neutre, qu’on peut totalement personnaliser.)
Je pense aussi que ces méthodes doivent pouvoir être utilisées dans d’autres genres. Donner au joueur des objectifs secondaires ou la possibilité d’exprimer ses sentiments me semble applicable dans d’autres situations.
Dans tous les cas, ces quatre aspects donne une base sur laquelle partir, si jamais vous souhaitez vous essayer dans ce genre !
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