Sur la proposition de Hugo, je vais faire le récit de ma participation au Spring Thing. C’est à la lecture des deux articles d’Hugo sur son expérience de l’IFComp en 2015 que j’ai réalisé à quel point nos deux vécus et les modalités des concours étaient différents. Il y a peut-être dans le dialogue entre nos deux textes l’ébauche d’une compréhension des fonctionnements des différentes communautés de fiction interactive qui peut servir à quelqu’un.
Petite présentation
Mon ressenti du Spring Thing 2020 est fondamentalement lié à mes diverses expériences professionnelles. Pour faire bref, je suis chercheuse et écrivaine. Je travaille sur les formes contemporaines des récits et les cultures médiatiques. J’ai écrit une thèse, des articles universitaires et je travaille avec des studios de jeux vidéo. En somme, j’ai l’habitude qu’on lise mes tentatives et mes erreurs, qu’on critique mes productions. Par ailleurs, je suis encore novice au sein des communautés de créateurs de fictions interactives et ignorante de certains pratiques professionnelles.
Ma décision
Ma participation au festival Spring Thing est alors le résultat d’un concours de circonstances. L’envie de discuter avec d’autres écrivains me pousse au début de l’année à me renseigner sur les ateliers de creative writing en Angleterre, où j’habite actuellement. Je (re)découvre le blog d’Emily Short et j’y vois la mention du festival Spring Thing. Parallèlement, j’expérimente avec Ren’Py dans un processus de recherche-création et dans le cadre de la rédaction d’un article universitaire à paraître dans la revue Appareil. En consultant le site internet du festival, je me rends compte de la diversité des fictions interactives présentées, en ce qui concerne les genres, la longueur des mais aussi leur degré d’aboutissement. Si j’envisage à ce moment de finir le brouillon de Visual Novel que j’ai entamé pour le proposer à l’édition 2020, j’ai réellement pris ma décision en constatant la simplicité des démarches pour participer. Un peu plus d’un mois avant le début du festival, il faut d’abord remplir un formulaire pour notifier l’intention de soumettre une création. Les questions sont assez peu nombreuses et assez génériques pour qu’il ne soit pas très long à remplir. Annoncer le titre, une description, le format et écrire un court message ne me semblait pas m’engager beaucoup sur le contenu. Après quelques hésitations, j’ai fini par appeler mon projet Another Love Story, à la fois par manque d’inspiration et comme blague très personnelle (puisque j’ai travaillé pendant un an sur quelques routes de l’otome game Moonlight Lovers pour le studio Beemoov), et j’ai cliqué sur le bouton “Send”. Il me faut aussi préciser que ce choix a été fait dans un moment où je multipliais les réponses pour les appels à projets et à contribution, à la fois dans l’industrie du jeu vidéo et dans le milieu académique. Dès le départ, je n’ai pas mis d’enjeux à ma participation au Festival Spring Thing. Contrairement à d’habitude, j’étais inconnue au sein de la communauté, je ne dépendais pas de cette production pour avoir un poste, j’avais très peu d’attentes, positives ou négatives par rapport au festival que je découvrais, je n’avais aucune illusion sur la qualité de mon travail. Pour une fois, je m’accordais de participer à un événement “pour voir”.
Une participation à l’heure du Covid-19
Cette absence d’angoisse, mais aussi le manque de cette excitation particulière que l’on ressent au moment de montrer son travail à quelqu’un son travail, est renforcée par le contexte du printemps 2020. Alors que le virus se répand, que le confinement est de mise et que le futur semble incertain, ce qui semblait important hier devient moins essentiel. La quasi-totalité des projets sur lesquels j’ai travaillé depuis plusieurs mois sont annulés, reportés, modifiés. Le mail de l’organisateur du festival qui explique que l’événement a toujours lieu mais que les auteurs ont aussi la possibilité d’envoyer plus tard dans l’année leurs créations, est une bouffée d’oxygène. C’est là que je comprends que, pour une première participation à un concours de fiction interactive, j’ai eu de la chance de me lancer dans le Spring Thing. Le nom m’avait mis la puce à l’oreille mais le ton des échanges me l’a confirmé : la bienveillance et l’entraide sont au cœur des valeurs du festival.
L’envoi du projet
Dans ces conditions, je retouche à mon projet autant que je peux, c’est-à-dire très peu. Les instructions pour le soumettre arrivent sous la forme d’un mail, quelques jours avant l’échéance. Avec soulagement et étonnement, je constate qu’elles sont claires et ne demandent pas énormément de temps et d’énergie. Je télécharge mon fichier, je remplis un formulaire, je choisis de ne pas avoir de “cover art” et j’envoie. Non seulement c’est officiel, mais je peux enlever un item à ma liste de choses à faire. Dans les jours qui suivent, je réponds à plusieurs e-mails pour compléter ma participation (à propos des images et des versions du projet). Je suis ébahie par l’implication et la gentillesse de Aaron Reed, l’organisateur, qui a clairement contribué à ce que l’expérience du festival soit pour moi très positive.
L’ouverture du festival
Lorsque le festival ouvre, j’ai réservé une journée dans mon agenda pour découvrir les fictions des autres participants. C’est seulement quand je me rends sur ma page du site que je réalise vraiment que ce que j’ai fait est consultable par tout le monde. Après un petit moment de fierté auquel je ne m’attendais pas, je plonge avec délice dans des univers très différents. J’ai des coups de cœur et des incompréhensions. Je lis et je joue pour le plaisir d’abord, puis avec un regard plus critique. J’apprends. Lorsque je soumets mon bulletin pour voter, je me souviens qu’il est possible de donner des “Audience Awards” mais, jugeant que je ne connais pas assez bien la culture du festival pour émettre des suggestions, je décide de ne pas me prononcer. Le festival est encore ouvert plusieurs jours et l’email qui détaille les modalités précise que l’on peut promouvoir son jeu et renvoie aux espaces numériques de discussion. Si j’envoie un tweet qui mentionne Another Love Story, je me garde bien de parler directement de mon projet autour de moi et je décide de ne pas participer aux discussions en ligne. La distance que j’ai avec le projet rend l’expérience très agréable et je n’ai pas envie de me soumettre à un stress supplémentaire dans une période où je suis largement évaluée dans le reste de mon travail.
La clôture du festival
Sans aucune surprise, Another Love Story ne fait pas partie des trois jeux nominés pour la catégorie “Best in Show”. Par contre, la fin du festival m’apporte de belles nouvelles. Le projet reçoit deux “Audience Awards”, “Best love interest” et “Moodiest visuals” Je suis particulièrement sensible à la deuxième catégorie dans la mesure où je ne me penche que très peu habituellement sur l’esthétique visuelle des fictions que j’analyse ou que je crée. Plus encore que l’évolution des relations entre les personnages, le genre du Visual Novel est pour moi intéressant car il permet de représenter la vie intérieure de l’avatar. Même si j’ai l’habitude d’écrire les sensations et les pensées en rapport avec les décors, j’ai aimé cette fois-ci choisir les paysages en fonction du chemin émotionnel que j’imaginais. À la lecture des commentaires d’un autre participant, j’envisage peut-être de persévérer dans cette voie. Ma participation au festival m’encourage dans mon travail, mais surtout, il donne lieu à de belles rencontres. Je découvre en ce moment la communauté de fiction interactive francophone et je suis persuadée que des discussions passionnantes en découleront.
Le bilan et la suite
Ma participation au Spring Thing 2020 a été un moment très agréable qui tient à la fois à la particularité de mon engagement dans l’expérience et au cadre que propose le festival. La simplicité de l’organisation, la bienveillance de la communauté, la qualité des fictions interactives : tout me pousse à promouvoir l’événement dans les années à venir et à encourager les créateurs que je connais à y participer. Si je ne suis pas sûre d’avoir l’occasion d’envoyer de nouveau une proposition, je pense au moins contribuer en donnant un prix. Le festival fait en effet appel à la générosité du public pour collecter des récompenses (comme des livres, des jeux…) qui sont remises aux gagnants et ensuite, aléatoirement, aux autres participants. Cet aspect n’a en rien conditionné ma participation, mais à la réflexion, je serais heureuse que les créateurs des fictions interactives que j’ai appréciées puissent bénéficier d’une forme de remerciement.
J’espère que le récit de mon expérience très personnelle du festival Spring Thing donnera à quelqu’un l’envie d’y participer. En quatre mots : ça vaut le coup.
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